Un regard transversal sur l’analyse des pratiques et l’analyse institutionnelle en travail social
Interview de Cathy Campos, Directrice Générale d’une association de protection de l’enfance qui apporte son regard transversal sur l’analyse de pratique et l’analyste institutionnelle dans le secteur médico-social.
Cathy Campos a un parcours complet et varié dans le travail social, elle y est entrée en tant que monitrice éducatrice. Après avoir obtenue une VAE d’éducatrice spécialisée, elle a travaillé d’abord dans le champ du handicap puis en Maison d’enfant à caractère social. Elle a obtenu un CAFERUIS et une licence en parallèle. Ce qui lui a permis d’accéder à un poste de cheffe de service au sein d’un service de prévention spécialisée puis à celui de responsable d’une équipe d’Aide Éducative en Milieu Ouvert et de mesures d’Aide à la Gestion du Budget Familial.
Elle a ensuite poursuivi les études avec un Master 1 en sciences humaines et sociales mention responsable d’organisations sociales et un Master 2 mention directeur manager stratégique à l’université Paris Est Créteil. L’obtention de ce Master lui a ouvert les portes d’un poste de Directrice d’une MECS. Le poste qu’elle occupe actuellement est un poste de Directrice Générale d’une association de protection de l’enfance.
De la richesse de l’analyse des pratiques selon les postes ?
“A l’époque où j’étais éducatrice, il y avait peu de temps d’analyse de pratique. Les éducateurs étaient en lien avec les psys, il y avait des temps pour élaborer, construire, prendre de la distance, etc… Mais il n’y avait pas de temps d’analyse des pratiques avec un prestataire extérieur.
Je n’ai donc pas connu l’analyse des pratiques quand j’étais éducatrice, je l’ai découvert quand je suis arrivée en tant que cheffe de service et ça a été une révélation : c’était génial, on pouvait parler, réfléchir, se distancer, construire ensemble, c’était juste top!
Rapidement j’ai compris l’objectif de ces temps, ils allaient au-delà du fait de se distancer, de prendre du recul, de travailler sur des situations, d’essayer d’élaborer, de construire une clinique éducative en lien avec les apports théoriques que la clinicienne pouvait nous apporter. J’y ai découvert un espace qui permettait de construire et de consolider la dynamique d’équipe, la relation d’équipe, la communication, où on pouvait faire le tri entre ce qui était de l’ordre d’une problématique institutionnelle ou de l’ordre de la problématique des familles ou des jeunes qu’on accompagne. Et au-delà, il s’agissait de nommer toute la subjectivité avec laquelle on travaille au quotidien.
La première expérience que j’ai eu m’a permis de me rendre compte que l’on a le droit de travailler avec notre subjectivité et qu’il faut se l’autoriser.
Ensuite dans une autre expérience en tant que cheffe de service, il y avait une volonté implicite de l’équipe de managers de faire bouger certaines lignes dans la manière de concevoir le management. L’analyse des pratiques a aidé l’équipe de cadres à mettre des mots sur l’histoire et sur ce sur quoi reposaient les problématiques. Le fait de déconstruire permettait vraiment de faire des liens et de faire le tri entre ce qui relevait de cette histoire, des inquiétudes individuelles liées à des perceptions du management et ce qui relevait de la réalité des problématiques que l’on rencontrait à ce moment-là. L’intervenante avait une approche psychosociologique, elle nous a vraiment aidé à déconstruire et à construire une dynamique d’équipe. Il y avait beaucoup d’analyse avec une approche systémique, on faisait des gros schémas et on formalisait visuellement comment les choses pouvaient se jouer entre un salarié ou encore qui était le salarié symptôme. On transformait une problématique individuelle en une problématique collective.
En parallèle il y avait l’analyse des pratiques avec mon équipe. L’intervenant m’a vraiment beaucoup apporté et il m’a permis de développer mes compétences sur l’approche institutionnelle et sur la clinique institutionnelle. J’ai compris ce qui peut se jouer de manière parfois inconsciente, c’est à dire : comment la problématique de la famille va jouer dans la dynamique d’équipe, mais aussi comment la problématique institutionnelle joue dans l’accompagnement des familles. Dans la réalité il y a souvent une interaction entre ces deux dynamiques.
Tout ce que cet intervenant m’a apporté me permet d’être le manager que je suis aujourd’hui. Dans les approches des problématiques que je rencontre, j’ai toujours une approche très institutionnelle, c’est-à-dire que je considère que les problématiques du management sont finalement très rarement, voire quasi jamais, liées à une problématique individuelle. En fait j’ai rarement été confronté à de la carence professionnelle ou à quelqu’un qui vraiment n’était pas à sa place. Quand ça a été le cas, les personnes font des choix d’orientation derrière.
Je pense qu’il n’y a pas de mauvais professionnels, il y a simplement des professionnels qui ne sont pas à la bonne place.
Il faut prendre en compte à la fois la place du professionnel en fonction de ses compétences, et aussi comment la problématique institutionnelle va empêcher le salarié de pouvoir exploiter toutes ses compétentes.
A chaque fois qu’on vient me chercher sur le terrain “lui, c’est une catastrophe”, je me demande de quoi il s’agit : Est-ce qu’il y a d’autres problématiques un peu similaires ? Est-ce c’est quelque chose qui se révèle sur plusieurs endroits ? et très souvent, on se rend compte qu’il n’y a pas un professionnel, mais il y en a deux, il y en a trois, voire 4, voir 5. Et on se dit qu’une personne, ça peut être un problème individuel, deux, ça peut être une coïncidence et à partir de trois, il faut arrêter, ça ne l’est plus, le problème ne vient pas du salarié, il vient bien de l’institution. Je le pense de cette manière-là spontanément, voire instinctivement. “
Pour une présence adaptée des cadres aux séances d’Analyse des Pratiques ?
“C’est un sujet auquel j’ai réfléchi pendant longtemps. La personne qui demande l’intervention et la personne qui anime l’analyse des pratiques, n’ont pas du tout le même point de vue. Toutes les équipes ne sont pas au même niveau, dans le même contexte. Pour donner un exemple que j’ai vécu en tant que directrice, l’équipe avait un temps d’analyse des pratiques avec quelqu’un d’extérieur. J’ai expliqué à l’intervenant à quel point je pensais qu’il fallait que les cadres participent. J’avais connu un autre intervenant quand j’étais cheffe de service, pour lui il fallait que tout le personnel soit là, la cheffe de service, mais aussi la secrétaire. Je pense que même s’il y a des difficultés dans une équipe, c’est mieux que le cadre soit là, je dirais même que l’analyse des pratiques ou l’analyse institutionnelle ne peut pas se faire sans le cadre. Je m’explique. A tous les niveaux, les acteurs ont un point de vue, une perception, une subjectivité par rapport à l’accompagnement des familles, et le cadre joue un rôle dans les interactions avec le public, dans les interactions avec les professionnels. Quand il y a des difficultés, il y a besoin d’analyser de manière institutionnelle les symptômes institutionnels, si on n’a pas le point de vue du chef de service, c’est compliqué. On laisse alors de côté une part qu’il me semble intéressant d’écouter et d’exploiter collectivement. Je trouve que cela vient aider au repositionnement, à la compréhension et à la communication. Pour un manager, comprendre qu’un professionnel peut être touché par rapport à une situation, que cela vient générer chez lui des choses particulières l’aide à comprendre.
Cette configuration avec le chef de service n’est pas possible quand on est face à des chefs de service très maltraitants. Mais dans la grande majorité des situations, je pense qu’en n’incluant pas le chef de service à l’analyse de pratique, on pourra travailler sur la dynamique d’équipe, trouver des éléments de compréhension de ce qui se joue, mais on laissera la part la plus problématique de côté, celle qui empêche le travail éducatif.
Si on ne réunit pas les gens autour d’une table, que l’on ne se parle pas et qu’on ne travaille pas sur cette réalité, on empêche d’avancer. Dans la situation que j’ai connue, l’intervenant était là depuis trois ans, ça se passait très bien, il faisait un super boulot avec les équipes, mais il y avait l’analyse des pratiques d’un côté, et de l’autre l’institution et tout ce qu’il s’y passait dans la réalité, la situation n’avançait pas en fait. “
Le recours à l’analyse institutionnelle
“Quelques fois c’est inenvisageable. Peut-être qu’il faut différencier les espaces, mais je ne vois pas pourquoi l’analyse des pratiques avec la présence d’un cadre pourrait empêcher de faire ce travail de construction/décontruction. Même si le chef de service est maltraitant et qu’il observe pendant cette instance que des salariés sont en difficulté, qu’est ce qui pourrait être pire que de ne rien faire du tout, de ne rien en dire et de laisser la situation comme tel. Je pense qu’en voulant protéger un espace, considérant qu’il doit être sécurisant pour tous, on sécurise certes l’espace, mais que l’impact derrière est important et ça ne fonctionne pas. Je continue d’être convaincue que les cadres doivent être présents sur ces instances.
Dans les situations où cela ne se passe pas bien entre l’équipe et le chef de service, peut-être que la présence du chef dans l’analyse des pratiques leur permettrait aux chefs d’avoir une autre de grille de lecture de leurs équipes. Peut-être que cela leur permettrait de se rendre compte quand il y a des décisions à prendre, ils les prennent avec leur vision à eux, à un instant t avec leurs préoccupations et leurs responsabilités, mais ils ne co-construisent pas avec la subjectivité du travail d’équipe qui est au cœur du travail.”
De l’analyse des pratiques à l’analyse institutionnelle
“Je crois que l’analyse institutionnelle on peut la faire à partir de l’analyse des pratiques.”
“Le fait de partir d’une situation ça décale. Quand ça ne va pas, la situation découle systématiquement sur une problématique institutionnelle. Ce n’est pas grave. On peut partir d’une situation, faire des liens et construire. Je suis convaincue que même si l’équipe n’est pas en confiance, si on amène à verbaliser avec bienveillance, avec quelqu’un de suffisamment compétent, formé pour gérer ces situations il y aura forcément un impact sur la dynamique et le travail d’équipe. Parfois en analyse des pratiques, à vouloir trop sécuriser, on ne fait pas forcément bien. “
“Je pense qu’on peut sécuriser l’espace différemment qu’en excluant les cadres. “
Un dispositif de formation continue
“L’Analyse des pratiques permet la formation continue, elle permet de développer la clinique et l’élaboration, elle contribue à la transformation des salariés. L’analyse des pratiques permet aussi d’être un garde-fou sur ce qui peut se jouer, en lien avec ses propres projections et sa propre histoire. C’est un dispositif qui permet de se resituer, de se repositionner à la bonne place et de faire le tri : Est-ce que là on parle de moi ou Est-ce qu’on parle bien de la problématique de la personne que j’accompagne ou est-ce qu’on parle de l’institution ?
L’analyse des pratiques contribue également à la consolidation de la dynamique d’équipe. Car quand on s’expose, la confiance se construit et la confiance est indispensable dans une équipe.
L’analyse de pratique peut aussi amener des apports théoriques, c’est toujours intéressant mais selon moi ce n’est pas l’objectif principal. “
Réunion clinique et dispositif d’analyse des pratiques
“Dans la réunion clinique, on est sur le projet de l’enfant : ses objectifs, l’état des lieux, on peut y parler de notre subjectivité, mais on est dans l’évaluation et la construction autour du projet de l’enfant.
En analyse des pratiques c’est différent, on va se distancer et aller analyser ce qui peut se jouer. Le travail n’a pas du tout le même objectif. D’un côté on a une mission, on doit l’accomplir : on doit mener l’enfant à la résolution des difficultés, de l’autre on va conscientiser ce qui peut se jouer, faire le tri, faire le lien avec de l’analyse institutionnelle, essayer d’améliorer les problématiques qui peuvent être récurrentes. Les deux instances sont complémentaires. “
Propos recueillis par Stéphanie KRYSTLIK, Analyste clinicienne des pratiques professionnelles, superviseuse, formatrice
Crédit Photos : Christina @ wocintechchat.com on Unsplash
- Stéphanie KRYSTLIK
- stephanie.krystlik@gmail.com
Directrice, Protection de l'Enfance, Analyse institutionnelle