Supervision et Analyse de la Pratique : Un dispositif multidimensionnel
Aujourd’hui, la plupart des structures sociales et médico-sociales sont pourvu de ces temps de parole qui visent, dans un cadre défini par quelques règles simples mais indispensables, à permettre aux Travailleurs sociaux de réfléchir à leurs pratiques afin de les aider à continuer d’exercer dans des conditions suffisamment bonnes – pour paraphraser Winnicott…;
Un lieu pour parler en Équipe
Accomplir son travail dans de bonnes conditions implique des temps réguliers de parole en groupe, parole envisagée ici comme mode privilégié de régulation des affects, mise en question des évidences et travail sur les représentations. Mais parler de sa pratique n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît pour autant qu’on choisisse de ne ne pas se cantonner dans des généralités ou des banalités.
Facile à dire ! Et le choix de l’institution de rendre obligatoire ou non ces temps d’analyse conditionne pour partie la fécondité des échanges. Si le fait de parler est un acte tout à fait banal, l’est beaucoup moins la situation où il s’agit de parler de ses pratiques – donc de soi – et à fortiori en groupe. Ce n’est pas parce qu’il existe un dispositif permettant de parler de sa pratique que pour autant le sujet peut facilement exprimer son point de vue quant à sa manière de faire, quant à ses modèles, ses ratés, ses réussites. Parler en groupe est plus ou moins facile suivant l’histoire du groupe et des différents protagonistes qui le compose, suivant si ce sont des temps obligatoires ou pas, etc. Parler en groupe, dans le cadre professionnel n’est pas tâche aisée. Il y a des enjeux. Enjeux autour de l’identité professionnelle, de l’identité du sujet dans la mesure où ces deux aspects sont fortement liés.
Savoir-Etre
Le travailleur social au sens large du terme, intervient avec ce qu’il sait et surtout avec ce qu’il est. Le professionnel du social intervient avec un ensemble de « techniques » qui renvoie essentiellement à du savoir-être. L’art d’éduquer est finalement un ensemble savoir-être-et-faire dans la relation. Tout le sujet est impliqué dans ce processus, c’est à dire l’ensemble de ses paroles, de ses comportements, du savoir qu’il possède, mais aussi de ce qui lui échappe en partie agissant parfois à son insu. Éduquer, c’est élaborer et proposer des projets pour d’autres à partir de nos propres déterminations et représentations que l’on estime légitimes, adaptées, et qui sont, pour partie, inconscientes.
« Celui qui supporte l’acte d’éduquer ne se confronte pas seulement à cet enfant vivant pour lequel il formule un projet, mais aussi et surtout à l’enfant qu’il a été, au souvenir idéalisé qu’il en garde, à l’enfant refoulé qui lui souffle la majorité de ses réactions. Lorsqu’il use de mesure ici et maintenant, celles-ci s’ancrent davantage qu’il ne le croit dans ses propres besoins pulsionnels, bien qu’il les justifie souvent par des rationalisations… » M. Cifali ; le lien éducatif. Contre-jour psychanalytique.
Dés lors, quel est la place et la fonction de l’intervenant dans ce dispositif ? Animateur, accompagnateur, formateur, … ? Quelle éthique commande à son ouvrage ? Quel(s) modèle(s) guide(nt) son action ? La psychanalyse, l’analyse systémique, la communication non-violente (CNV),… ?
Positionnement de l’intervenant en analyse des pratiques et/ou supervision.
A l’instar des éducateurs ou des soignants, l’intervenant travaille aussi avec ce qu’il sait et avec ce qu’il est. Garant du cadre dans lequel des paroles plurielles puissent circuler, l’intervenant, qu’il soit psychanalyste, psychologue, formateur ou autre, est à la fois celui qui anime, qui relance, celui qui transmet des connaissances et bien sûr aussi celui qui la « boucle » pour parler trivialement, à la fois celui qui se tait pour écouter sans juger et celui qui permet de relier les participant entre eux.
L’intervenant, travaille essentiellement à partir du « matériel » amené par les participants. C’est à partir de celui-ci que s’engage le travail proprement dit. Les professionnels présentent des situations de travail qui leur posent question, c’est à dire des problèmes concrets qu’ils rencontrent dans leur quotidien professionnel et qui sont inscrits dans un contexte institutionnel déterminé. Pour ma part, je considère que le temps dédié à l’analyse des pratiques professionnelles et/ou la supervision est un moment où il s’agit d’accompagner les professionnels à mettre en question certaines évidences, à se déprendre de certaines déterminations, à clarifier certains points, tout ceci en leur fournissant de l’information et des connaissances dans le cadre d’une animation vivante et bienveillante. C’est en ce sens que je considère que l’espace-temps de la supervision est un dispositif multidimensionnel qui ne se résume pas à établir une vision commune sur le cœur de métier ou bien constituer le réceptacle où peuvent se déposer des griefs et des plaintes.
Animer les séances d’Analyse des Pratiques.
L’intervenant est garant du cadre et veille aussi à installer un climat propice aux échanges. Ce n’est pas un animateur mais il lui incombe une part d’animation du groupe au sens de créer une ambiance favorable au dialogue, relancer la parole, proposer des hypothèses et des modélisations, aller « chercher » délicatement ceux qui ne prennent pas la parole facilement, etc. Faire de ce moment important, un moment vivant, chaleureux où s’entremêlent plaisir à chercher ensemble, interrogation et mise en question des évidences, le tout accompagné d’un brin humour !
Informer et former les travailleurs sociaux.
Plusieurs moments de nos existences sont prétextes à apprendre. Les séquences d’Analyse des pratiques peuvent être considérées aussi comme une sorte de formation permanente. Les différents points de vue en jeu pendant les séances constituent des manières singulières, différentes d’apprendre ensemble créant de la nouveauté, de l’enrichissement. Sur ce point, le Désir et l’Éthique de l’intervenant ont une importance dans son intention – certes d’être à l’écoute- mais aussi de proposer des pistes, des définitions, des textes. Désir de celui qui est peut être vécu comme « supposé » savoir, dans sa volonté de partager et de transmettre des connaissances, d’articuler pratiques concrètes des professionnels et points de vues théoriques. Éthique de l’intervenant concernant sa position à la fois neutre et engagée, souple et claire sur ce qui fonde sa praxis, dans une approche bienveillante et non dogmatique au plan théorique.
Une Analyse des Pratiques et/ou Supervision multidimensionnelle
Dans les temps d’Analyse des pratiques et de supervision, l’idéal pourrait être le fait de produire un certain savoir de type protéiforme qui emprunte à plusieurs champs disciplinaires, à travers une parole qui se voudrait la plus déliée possible. Cet idéal n’est jamais atteint. Nous sommes obligé en effet d’observer dans ces groupes une certaine prudence, car parler de sa pratique c’est parler de soi, et c’est toujours en partie problématique car impliquant pour le sujet… L’on ne peut pas effectivement tout se dire car il faudra sortir de cet espace relativement protégé pour retrouver le « quotidien » de l’action éducative, les usagers et ses collègues. Mais c’est peut-être parce que tout ne peut pas se dire, que paradoxalement, la parole peut continuer à circuler, et les professionnels continuer d’exercer dans des conditions suffisamment bonnes.
Freddy BLONSKI, Therapeute, Intervenant en Analyse des Pratiques.
- Freddy Blonski
- fblonski79@gmail.com
Travailleurs sociaux, supervision, Cadre, Soignants, Equipe éducative, Posture