Objectifs individualisés et réalités cliniques dans une prise en charge en institution
Dans les pratiques éducatives ou thérapeutiques, la prise en charge de patients opère désormais par la formalisation d’objectifs, de plans individualisés, tout comme d’exigences de conformité des actes médicaux ou para-médicaux.
Cela pose la question de l’évaluation comme extension de gestion et de contrôle. Pour bon nombre de professionnels, la fixation d’objectifs et de plans, fussent-ils individualisés, déplace le lien thérapeutique ou éducatif sur un champ opérationnel d’où la clinique est manquante.
Des origines de l’objectif
Depuis le 19ème siècle, la transformation du travail et l’organisation d’une production selon un processus normatif constituent le socle de tout dispositif. La finalité en est de produire un ensemble, et de le produire à un coût et un risque contrôlés et maitrisés. La Qualité comme système de conformité à une attente supposée ou contractualisée d’un bénéficiaire (client, usager, patient) vient filtrer un double fluide : celui de la Qualité demandée par le bénéficiaire et les éventuels excès ou torsions de Qualité produits par des salariés comme autant de dérives à endiguer.
Pour organiser ce système de contrôle, il convient de définir des standards, des objectifs, une planification, une répartition individualisée du travail, une évaluation du résultat auprès du « bénéficiaire » de la production. La théorisation de l’objectif que je viens de présenter s’applique à l’hôpital ou à des activités de soin, pour tout lecteur qui en acceptera les faits avérés et non les jugements, les idéologies, la moralité ou l’immoralité, l’adéquation ou son contraire.
Le « jeu de construction » des objectifs
Dans la pratique managériale des objectifs, c’est par un emboitement de cadres que la fixation des objectifs est décidée. Du plus large : le projet institutionnel, ou encore la stratégie de l’organisation, à celui qui relève de l’individualité : l’objectif ou les objectifs d’Un à Un, par exemple le projet individualisé d’un patient tel que défini par un professionnel (ou plusieurs). La représentation commune consiste à insérer l’objectif individualisé dans l’objectif du service, lui-même enchâssé dans celui du projet institutionnel.
Cette logique, qui va du côté de la géométrie : celle des formes, et du rapport des grandeurs : un ordonnancement par taille. Cet ordonnancement produit dans le Réel du fonctionnement de l’institution des rapports de pouvoir et des conflits en raison de l’espace de jeu de la construction des objectifs. Ce qui est dessiné par la mathématique se trouve pris dans la subjectivité et le jeu des acteurs. C’est du côté de Winicott que nous allons chercher le jeu, c’est-à-dire d’un espace de transition dans lequel deux ou plusieurs personnes se différencient, négocient, échangent, discutent, font conflit.
Pour une direction, le jeu des objectifs tient à répondre aux injonctions politiques de la tutelle, aux demandes des familles, au jeu social institué, et à la régulation des salariés.
Pour les familles des patients, le jeu des objectifs pousse du côté de la garantie d’une assurance, d’un retour de la normalité, parfois de l’espérance, c’est-à-dire de ce qui vient contenir ou réduire l’angoisse. Parents d’enfants ou d’adolescents, quel que soit la psycho-pathologie ou le handicap, l’école, l’autonomie, l’insertion dans la vie sociale ordinaire, les différences intra-familiales font autant de sources d’angoisse. L’objectif vient s’interposer comme abaissement de l’angoisse, en réduisant le champ de la psycho-pathologie ou du handicap à des dimensions maitrisables, à un possible.
Toutefois, dire que l’objectif aurait des effets de transformation de l’angoisse ne signifie pas pour autant que le but qui lui assigné soit celui-ci. Si l’objectif produisait de la ré-assurance ce ne serait pas en raison de sa supposée pertinence, c’est-à-dire qu’il aurait une qualité objectivante, mais parce qu’il constitue un terrain fantasmatique. Le fantasme, c’est ce qui permet de supporter le Réel, à la condition qu’il ne se transforme pas en leurre par les effets du « Tout objectif » que nous entendons dans des groupes d’analyse de pratiques.
Pour les professionnels, l’objectif les place dans un écart entre une organisation normative et la réalité de l’enfant en tant que Sujet et dans le milieu d’accueil. Pourquoi ?
Les réalités cliniques sont complexes, tout comme celles de la prise en charge, du soin, c’est-à-dire du lien. Un exemple. Dans une séance, des professionnels rendaient compte de la fixation d’objectifs pour des enfants autistes. L’un deux avait pour objectif de « savoir mettre seul son manteau ». L’enfant objet de la présentation de cas, présentait un autisme défensif-agressif. Mettre son manteau de lui-même supposait de l’y aider, et pour l’y aider que le professionnel y parvienne sans provoquer d’épisode agressif par auto-mutilation ou mutilation sur le corps de l’autre.
En analyse des pratiques, réintroduire la clinique pour donner des repères aux professionnels.
L’exemple de l’enfilage de manteau ne peut s’étayer que si l’on introduit de la clinique, et ici celle de l’autisme infantile. Non pas comme une théorie générale, mais comme l’observation des interactions entre soignants ou éducateurs et l’enfant, l’enfant dans le groupe, par son comportement et sa réalité dans la prise en charge, comme dans la fratrie lorsque les professionnels sont en lien avec la famille. Le travail clinique fait référence à ce que les professionnels ont observé, expérimenté avec un enfant, et de ce qui se joue dans le Un à Un entre un enfant et un professionnel.
Ce travail d’analyse a un effet de transformation des affects des professionnels : sentiments, émotions, impressions, en une réflexion sur ce qui se passe, différence par rapport à ce que les protocoles disent « de ce qu’il faudrait qu’il se passe », et de ce travail patient, toujours remis sur l’ouvrage, étayé par des évolutions, d’en construire un socle clinique qui aide à se repérer dans les prises en charge institutionnelles complexes entre le projet et le fonctionnement de l’institution, la place des parents et de leurs demandes, voire leurs espérances ou idéaux blessés, les fonctions des professionnels et ce qu’elles contiennent comme abords distincts d’un enfant, et aussi ce qui se joue dans la relation transférentielle entre un enfant et des professionnels.
Un article de Marc LASSEAUX – contact@bymarclasseaux.com
Objectifs, Handicap, Groupes d'analyse de pratiques, Managers