Les psys ne parlent pas comme nous
L’empathie linguistique – Un outil de terrain
Le langage est et reste un socle identitaire puissant.
Pour preuve, les nombreux argots des métiers : le louchébem, le javanais, pour ne citer qu’eux, qui définissent une communauté. L’un était celui des bouchers, l’autre des truands. Ainsi, maitriser ce langage était synonyme d’une appartenance.
Lors d’une intervention en analyse de pratiques, plusieurs langages se rencontrent, celui de l’intervenant et surtout celui des salariés. Lors de plusieurs séances, j’ai souvent relevé cette phrase, qui est celle du titre : “les psys ne parlent pas comme nous”. Ainsi, afin de créer un lien autre, j’ai crée un outil susceptible de lever ce frein.
Recueillir les mots de l’autre : comment faire ?
S’il est complètement artificiel de parler comme les salariés, il est pertinent de s’intéresser à leur langage “communautaire”. Quelque soit le niveau, le métier, chaque groupe a ses expressions, à la manière des mots clefs d’un site internet. Mon premier groupe, des aides à domicile, m’ont amené à créer cet outil, que j’utilise systématiquement désormais lors de groupes d’analyse de la pratique.
Durant les premières séances, j’ai noté les mots revenant à plusieurs reprises : “usager toxique”, “vous êtes belles pour une étrangère”, “soixante transferts par jour”. Ces métiers, orientés vers l’autre, vers le soin et l’aide, sont souvent victimes d’un silence synonyme de dignité, et ces mots, du coup, sont devenus des plus précieux. Alors, j’ai entamé ma collecte dés la fin de la première séance.
La préparation :
De retour au domicile, j’ai ouvert mon traitement de texte et ai commencé le travail :
- Sélection des mots et expressions récurrents
- saisie sur traitement de texte
- impression et plastification
- découpe de chaque mot
- rangement dans un contenant type trousse
Ceci fait, j’ai emporté avec moi cette trousse, et l’ai utilisé avec les autres groupes.
Lors de la séance :
La séance démarre, et les mots découpés sont déposés sur la table avant la venue des personnes. Au lieu de l’habituelle présentation linéaire ou d’un classique “ice breaker” avec des lapins et des tigres, chaque personne prend un mot ou une expression qui lui convient. Le débat est lancé, chacun réagissant, apportant des remarques, corrections, et tout le monde démarre de l’analyse de pratique sans s’en rendre compte !
Autre point essentiel : les personnes sont incluses dans le processus d’analyse, leurs mots devenant une matière première indispensable au déroulement des séances. Enfin, la trousse s’est rapidement remplie, et les personnes avaient plaisir à prendre des mots, ou même en jeter à la poubelle, ne se sentant plus, par exemple, impacté par une situation douloureuse.
Et après ?
Cette trousse est devenue un outil efficace pour entrer en contact avec un groupe, surtout si ce dernier a le même travail. Expliquer la démarche séduit les personnes, qui se sentent considérés comme des acteurs et non des patients, ou, pire, des sujets d’analyse à mille lieues de leur quotidien.
Cet outil, simple et aisé à mettre en place, peut devenir un allié au quotidien lors de groupes d’analyse de la pratique. Je le recommande lorsque les séances sont sur le long terme, mais aussi pour l’intervenant, afin, je l’espère, de ne jamais perdre le point de vue des personnes qu’il accompagne.
Jean Stéphane – intervenant en analyse de pratiques – spécialisé services à la personne
Crédit photo : meo from Pexels
- Stéphane Jean
- stephanejean-formateur@orange.fr
Systémie, Analyse de pratiques, empathie, langage, argot, point de vue