Le « burn out » ou « épuisement professionnel »
dans le médico-social
Pour écrire cet article, j’ai fait des recherches d’études, de statistiques sur ce phénomène croissant en France. J’ai constaté qu’il n’existait pas de données précises, mais il semble que plusieurs études soient en cours d’élaboration… Plusieurs sources avancent le chiffre d’environ 30 % des soignants qui seraient en état d’épuisement professionnel ; près de 50 % de cette population aurait déjà songé à changer de métier, sans pour autant le faire. Selon une enquête de la CFDT Santé-Sociaux (magazine Liaisons sociales de 09/2011), 60 % des employés en gériatrie trouvent leur travail très ou pas mal stressant. « Les conditions de travail nous interdisent de donner du bonheur à des gens qui n’attendent plus que la mort, et on en souffre beaucoup ».
Commençons par définir le « phénomène de burn out »:
Dès les années 1950 en France, on parle de « fatigue au travail ». Dans le secteur médico-social en particulier, mais plus globalement dans le monde du travail en général, on est passé du « surmenage », de la « fatigue ou souffrance au travail » au concept de « syndrome d’épuisement au travail » ou « burn out ».
Dans la langue anglaise, burn out signifie «s’user, s’épuiser, craquer en raison de demandes excessives d’énergie, de forces ou de ressources ». La traduction littérale du mot burn out est « incendie extérieur » ou « fin de combustion » ou encore « épuisement, saturation ». Le terme anglo-saxon “burn out syndrome” désigne dans l’industrie aéronautique “la situation d’une fusée dont l’épuisement de carburant a pour résultante la surchauffe et le risque de bris de machine”.
Herbert FREUNBERGER, psychiatre anglais, avançait dans les années 1970 : “L’épuisement professionnel est une maladie de l’âme en deuil de son idéal “.
Selon Christina MASLACH, chercheur en psychologie, le burn out est : « un état d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de diminution des performances, susceptible d’apparaître chez des individus qui travaillent avec d’autres individus ».
Dans leur ouvrage “L’épuisement professionnel, un concept à préciser”, les Docteurs D.BEDARD et A.DUQUETTE disent que « l’épuisement professionnel est une expérience psychique négative vécue par un individu, qui est liée au stress émotionnel et chronique causé par un travail ayant pour but d’aider les gens. »
La signification de ce terme a évolué dans le temps. Ce concept n’a pas encore de définition universelle mais tout le monde s’accorde à le mettre en rapport avec l’épuisement professionnel lié à l’accumulation de stress au travail, caractérisé par un épuisement physique et psychologique ainsi que des sentiments négatifs envers autrui et envers soi-même.
Dans le secteur médico-social, quels sont les personnes concernées ?
Toutes les personnes engagées au quotidien dans une relation d’aide avec autrui et soumises à un stress professionnel chronique, telles que :
- le personnel soignant et paramédical dans son ensemble,
- le personnel des services sociaux,
- les éducateurs,
- les enseignants,
- les juges,
- le personnel de police (et du maintien de l’ordre public) et pénitentiaire,
- les « aidants naturels » (famille, proches, amis ou voisins qui fournissent un soutien ou des soins à une personne malade ou dépendante).
A propos des aidants naturels, le fait de s’occuper d’un de leurs proches malade ou en perte d’autonomie est potentiellement générateur de stress. Ils gèrent la maladie de leur proche avec le sentiment de n’en avoir aucun contrôle. La situation de l’aidant peut rapidement déborder dans les autres domaines de sa vie, tel que le travail, ou encore la vie sociale et familiale.
De quoi s’agit-il au juste ?
D’une pathologie psychiatrique, d’un phénomène existentiel, de l’expression d’une crise d’identité d’un groupe professionnel… ?
Ce qui est sûr, c’est que cet état a une haute contagiosité et un impact négatif sur les populations prises en charge.
Quels sont les signes cliniques ?
- Symptômes somatiques : fatigue chronique, céphalées, troubles gastro-intestinaux, nausées, douleurs musculaires, épisodes répétés et/ou prolongés d’infections rhino-pharyngées, grippales ou pseudo-grippales… Parfois une hyperventilation, des palpitations, des sueurs, des variations de poids, des troubles du cycle menstruel chez la femme, des troubles du sommeil, des troubles sexuels,…
- Symptômes cognitifs : difficultés de concentration et d’attention, troubles mnésiques, sentiment d’impuissance et de désespoir, perte de sens dans le travail, sentiment d’échec et d’insuffisance, baisse de l’estime de soi, sentiment de culpabilité, possible diminution de la tolérance à la frustration, pessimisme, diminution de l’empathie, idées suicidaires (qui restent heureusement rares).
- Signes affectifs et comportementaux : humeur sombre, tristesse, dépression, peurs, anxiété (faibles ressources et manque de contrôle émotionnel), irritabilité, hypersensibilité, hyperactivité stérile, impulsivité ou procrastination et indécision, frustrations, accès de colère ou de larmes, méfiance excessive, froideur affective, rigidité, résistance excessive au changement, attitude négative ou pessimiste, agressivité envers autrui, isolement social, usage excessif d’alcool, de café et/ou de psychotropes, troubles alimentaires, absentéisme progressif et répété…
- Symptômes motivationnels : la motivation professionnelle disparait. Les personnes en burn out sont résignées avec un sentiment d’indifférence vis-à-vis de leurs collègues ou des personnes qu’elles prennent en charge.
Les maladies ou réactions physiologiques dues au stress :
Insomnie, perte d’appétit, migraines, troubles digestifs, douleur angineuse, douleurs diffuses, baisse de la libido, ulcère, pathologies coronariennes, asthme, diabète, polyarthrite rhumatoïde, tachycardie, hypertension artérielle, hypercholestérolémie, diminution de la résistance électrique de la peau (réponse électrodermale)…
Quelles peuvent en être les causes ?
Parmi les facteurs principaux, on citera :
L’émergence des nouvelles organisations avec un d’effectif trop restreint, les obligations et les pressions externes toujours plus grandes, la limitation des possibilités de s’engager, la faible reconnaissance financière, l’ambiance de travail, les dysfonctionnements institutionnels, la surcharge de travail, la confrontation quotidienne à la souffrance, la détresse, la mort, le manque de reconnaissance…
Les soignants et le personnel en charge de public ont souvent l’impression de ne pas pouvoir fournir un travail de qualité et qu’ils doivent travailler d’une façon qui va à l’encontre de leurs valeurs ou de leur éthique. Ils ressentent une déshumanisation de la relation avec autrui, avec la négation de leur engagement et l’absence de reconnaissance des efforts qu’ils réalisent.
Quelle est la différence entre « burn out » et « dépression » ?
Le burn out (ou épuisement professionnel) est lié au travail alors que dans la dépression, le travail n’est qu’un éventuel facteur aggravant. Dans le burn out, la personne est toujours atteinte de stress chronique, ce qui n’est pas forcément le cas dans la dépression. Sur le plan physiologique, les personnes déprimées produiraient trop de cortisol*, alors que les personnes atteintes de burn out n’en produiraient pas assez.
*Le cortisol est une hormone stéroïde (corticostéroïde) secrétée par le cortex (la partie externe) de la glande surrénale à partir du cholestérol. Ses fonctions ou actions principales sont l’augmentation de la glycémie, l’inhibition de certaines réponses du système immunitaire, la régulation du métabolisme des graisses, protéines et glucides, et la régulation du cycle circadien (en complément de la mélatonine)
Paradoxe et Questionnement :
- La société (donc nous tous) confie ses membres les plus vulnérables à des personnes spécifiques dont c’est le métier.
- Mais cette même société (donc nous tous) tolère et accepte que ces professionnels, au service des plus vulnérables, subissent et atteignent un tel épuisement dans l’exercice de leurs fonctions !
- La logique ne voudrait-elle pas que cette même société (donc nous tous) les « bichonne » afin qu’ils « bichonnent » à leurs tours les personnes les plus vulnérables ?
D’autant plus que sur le plan économique, cela est très coûteux pour la collectivité !
Le coût annuel du stress au travail est en effet estimé à plus de 20 milliard d’Euros par an en Europe ! Il est estimé entre 2 et 3 milliard d’Euros par an en France (estimation datant de 2007). Les coûts se répercutent à quatre niveaux :
- de l’employeur (travail pas ou mal fait, absentéismes et arrêts maladies)
- des collègues (surcharge de travail)
- des finances publiques (prise en charge par la sécurité sociale)
- de la personne malade.
Le phénomène devient si préoccupant que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime que la dépression majeure deviendra en 2020 la deuxième cause d’invalidité chez l’humain, après les maladies cardio-vasculaires.
En ce qui concerne les médecins, ils sont également en difficulté psychologique mais le phénomène reste encore tabou en France. Le taux de dépression chez les médecins est deux fois plus important que celui de la population générale, et le taux de suicide est également beaucoup plus élevé. Cet aspect du problème mériterait un article à lui tout seul et nous allons y penser.
Ce que dit la loi : Les principes généraux de prévention prévus dans le code du travail :
La prévention collective des risques psycho-sociaux s’inscrit dans la démarche globale de prévention des risques professionnels. En application de la directive-cadre européenne 89/391/CEE, la loi définit une obligation générale de sécurité qui incombe à l’employeur.
Article L 4121-1 du code du travail :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
- Desactions de prévention des risques professionnels
- Des actions d’information et de formation ;
- La mise en place d’une organisation et des moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
Le décret 2001-1016 du 5 novembre 2001, porte sur la création d’un document relatif à l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, permettant au chef d’entreprise de formaliser par écrit l’évaluation des risques et sa mise à jour périodique.
Source : Association Travail Emploi Europe Société (ASTREES) –Tout le monde semble d’accord sur les facteurs externes des risques psychosociaux :
- L’organisation du travail
- La gestion des ressources humaines
- Les comportements ou circonstances extérieures tels que les comportements des personnes prises en charge.
Les employeurs sont incités à communiquer avec les organisations syndicales, les médecins du travail et les salariés eux-mêmes, pour identifier ensemble les facteurs de risques afin de trouver des solutions.
- Un colloque sur « Bien être et efficacité au travail » a eu lieu à Nantes en décembre 2010. Il en est ressorti que les entreprises les plus efficaces sont celles pour lesquelles le bien-être du collaborateur, et plus largement la responsabilité sociale, sont au cœur de leur stratégie.
- Le rapport Henri LACHMANN sur le bien-être et l’efficacité au travail a été rendu en février 2010. Celui-ci comporte 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail.Pour le consulter, cliquez sur le lien : ICI
Un outil d’évaluation :
Dans le secteur médico-social, les métiers se caractérisent par leur complexité et leur pénibilité, avec très souvent la prise en charge de populations fragiles, malades ou en grande difficultés. Ils demandent en conséquence des compétences spécifiques, le sens de l’initiative et une certaine vocation. La motivation principale dans le choix de ces métiers est en effet la relation à l’autre.
Il existe un outil d’évaluation du degré d’épuisement professionnel, le Maslach Burn out Inventory (MBI), qui définit le syndrome selon 3 critères :
- l’épuisement émotionnel,
- la déshumanisation de la relation à l’autre,
- la perte de sens de l’accomplissement personnel au travail.
Le phénomène est à prendre en compte selon les 3 aspects suivants, en parallèle :
- le plan organisationnel et institutionnel,
- l’approche individuelle,
- l’approche collective et pluridisciplinaire, éthique et existentielle (la question du sens du travail, des capacités d’adaptation, l’autorisation d’exprimer ses émotions et ressentis).
Rappel de l’ampleur du phénomène :
- Elisabeth Grebot, dans son livre « Stress et burn out au travail » dit que le stress lié au travail est « le deuxième problème de santé le plus courant dans l’Union européenne, après les maux de dos ; il touche un travailleur sur trois. Le stress au travail concerne tous les secteurs et toutes les organisations, quelle que soit leur importance ; il peut affecter n’importe qui, quel que soit son échelon ». (Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail. 2002. Prévention des risques psychosociaux et du stress au travail en pratique. Travailler sans stress !)
- L’absentéisme des salariés français est estimé à 9 jours par an et par salarié. Cela représente 28 % des salariés qui se mettent en arrêt maladie à cause d’un excès de stress (CNRS).
- Selon Éric Alonso (écrivain et consultant d’INEUM Consulting), le stress figure dans le trio de tête de l’absentéisme avec la démotivation et les mauvaises conditions de travail.
- Dans son livre « Le stress au travail. Repérer les symptômes du burn out », P. Légeron estime que le burn out touche entre 5 % à 10 % des salariés, 25 % des soignants, 40 % du personnel des services hospitaliers de pédiatrie et 48 % du personnel hospitalier infirmier.
- Dans son livre « Burn out en Bourgogne des médecins libéraux », D. Truchot dit que, selon une étude réalisée en Bourgogne, le burn out touche la moitié des médecins libéraux bourguignons et un tiers d’entre eux manifeste une déshumanisation dans la relation avec leurs patients.
- Frederika Van Ingen, dans son livre « Les médecins malades du stress », dit qu’un médecin sur trois présente des signes de dépression, liés principalement à la surcharge de travail.
Mais que faire ?
Nous l’avons déjà dit, les facteurs de stress entraînent un épuisement émotionnel, une dépersonnalisation et une baisse du sentiment d’accomplissement personnel.
Nous avons beaucoup parlé des facteurs extérieurs de stress, ils sont indéniables et à prendre en compte dans la prévention.
Nous devons également aborder le facteur interne, propre à chacun. En effet, dans une équipe professionnelle, confrontées aux mêmes facteurs externes de stress, comment se fait-il que certaines personnes vont basculer vers un « burn out » et pas les autres ?
En réalité, les émotions ressenties sont perçues différemment d’une personne à une autre, en fonction de leur histoire, de leurs croyances, de leur niveau de fatigue du moment, etc. Voilà pourquoi nous réagissons très différemment face à un même phénomène.
Le processus d’évaluation interne, puis externe, dans la démarche qualité des établissements médico-sociaux, rendue obligatoire par la loi 2002-2 du 2 janvier 2002, devrait permettre de mettre en exergue les facteurs externes de risques psycho-sociaux afin d’y remédier au mieux.
En fonction des besoins de leurs équipes, les directeurs ou responsables d’établissements choisissent parfois de mettre en place des instances telles que :
- Supervision d’équipes
- Régulation d’équipes
- Groupes d’analyse ou d’évaluation des pratiques professionnelles
- Réflexion sur les pratiques professionnelles
Si vous souhaitez aller plus loin sur le sujet, voici quelques références intéressantes :
- «Vaincre l’épuisement professionnel. Toutes les clés pour comprendre le Burn Out», Patrick Mesters
- « Le Burn Out », n° 1964, Collection « Vie Pro «, Editions Marabout
- « Stress et burnout au travail », Elisabeth Grebot (Contient de nombreux tests d’évaluation)
- « Le burn out à l’hôpital », Pierre canoui
- « burn out », Christine Maslach
- « Comment traiter le burn out », Michel Delbrouck