L’animation en couple « C’est comme une P.M.A ! »
1ère partie
Je suis en présence d’un groupe d’animateurs qui se livrent à une association libre autour de la question de « l’animation en couple ». Ils se demandaient si celle-ci est une aide ou plutôt une entrave.
« Il m’a appelé à la dernière minute pour dire qu’il ne venait pas, je me sentais anéantie, ça ne se fait pas, on n’abandonne pas comme ça son, son part, son co- quand même ! » déclare la première.
« Je ne me vois pas du tout animer seule, je ne sais même pas ce que ça donnerait. Pourtant, des fois, on se rend compte que quand l’un d’entre nous anime, l’autre ne parle presque pas, mais la présence est importante, on se sent moins seul » réplique la deuxième.
« Des fois, je me dis : ‘il m’a écrasée, il ne me reste plus rien à dire, surtout qu’il est plus expérimenté que moi dans le domaine’ ». ajoute la troisième.
« On se regarde, il se passe quelque chose entre nous, on en parle après, mais jamais les mots ne peuvent reproduire ce moment où nos regards se sont croisés sur la même idée, le même ressenti » associe la quatrième.
« On ne se sent productif qu’à deux, c’est comme dans une relation de procréation assistée, d’une P.M.A1 » enchaîne la dernière2.
Ce vocabulaire empruntant des expressions qui appartiennent aux registres des angoisses archaïques (ici, anéantissement et écrasement), de l’amour, de la séduction, de la sexualité nous paraît révélateur de l’importance de la dimension couple dans le dispositif à deux.
Ces échanges peuvent faire écho au lien duel auquel J. Bergeret a appliqué les théories psychanalytiques du groupe, en particulier celle développée par R. Kaës. Animer en couple est-il un dispositif à médiation qui garantirait l’aptitude à contenir et à transformer la violence fondamentale de chacun ? Paradoxalement, le lien duel, ne ravive-t-il pas certains mécanismes comme celui d’identification, de projection, de dépôt, de collusion… ? Ne met-il pas en route des fantasmes de gémellité, de collage…? N’offre-t-il pas le terrain glissant de certains agirs ?
Les paroles recueillies et les imaginaires repérés dans la chaîne associative groupale font écho aussi aux mots du couple tels que nous les apercevons dans le livre de Jean-G. Lemaire qui porte ce titre.
Chacun des deux animateurs peut chercher à assurer son individualité, sa certitude de pouvoir penser sans l’autre et, en même temps, ne s’imagine pas être seul face au groupe et à ses attaques. Que représente le « nous » dans le « moi » de chacun ? Que représente le « moi » quand il est mis dans un « nous » ?
Il serait intéressant de se poser quelques questions : qu’est-ce qui pourrait unir, désunir, rapprocher, éloigner un couple d’animateurs (surtout dans le cas d’animation de groupes de longue durée) ?
Sont-ce leurs appartenances implicites ou explicites à des écoles et/ou des courants de pensées théorico-cliniques ? Sont-ce quelques caractéristiques de leurs personnalités ? Est-ce une sympathie sans raisons apparentes qui les a unis ?
Mais aussi quels sont les enjeux relationnels qui ont lieu, à chaque animation, entre le couple d’animateurs et entre le couple et le groupe ?
Il est habituel que les animateurs prennent un temps d’échange, de questionnement et de tentative d’élaboration après l’animation, mais ce temps est-il suffisant ?
Il arrive qu’un animateur aussi chevronné soit-il, s’inscrive dans une demande d’un autre regard et d’un éclaircissement de ce qui a été touché en lui et qui a laissé une zone sombre mais je n’ai pas eu l’occasion de recevoir un couple d’animateurs en supervision. Ceci me semble être pourtant un terrain fructueux et un sujet de recherche original.
1Procréation médicalement assistée.
2Nous remarquons que les paroles recueillies étaient prononcées par des animatrices (femmes). Des animateurs hommes ont participé à ce temps de travail.
- Souad BEN HAMED
- souad.ben-hamed@formapsy.org
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