La vertu de la violence : la confiance est la clef
Comprendre et cerner la violence pour en faire une alliée, oui mais comment ?
Lors des séances de GAP depuis maintenant 8 ans, la thématique de la violence sous ces diverses formes revient régulièrement. Souvent désarmé, le groupe se contente de la décrire, et de la subir. Comment en faire une alliée du quotidien et surtout l’intégrer à l’éthique du métier ?
Si nous prenons simplement la définition du dictionnaire, la violence est ceci : « Caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, brutale et souvent destructrice » Si cela est un début, ses formes, dans le domaine sanitaire et social, sont nombreuses, changeantes et surtout spécifiques à chaque équipe. Elle est avant tout une histoire intime, entre soi et soi.
Lors d’une première rencontre avec un groupe, j’ai demandé à quoi, selon eux, servait les séances de GAP. Une salariée, éducatrice dans un foyer de vie, a dit ceci :
« je ne veux pas sortir le démon en moi »
Bien entendu, nous n’allons pas développer le côté ésotérique de la phrase, mais plutôt son aspect psychologique. Cette phrase confirme la relation intime que nous avons à la violence, à la manière dont les démons ou génies peuvent, dans les différentes mythologies, influencer nos comportements, en bien ou en mal.
Passée cette déclaration, le groupe s’est emparé de cette question de la violence, et ce thème devient la colonne vertébrale de nombreuses séances depuis maintenant deux ans, d’où l’impératif de cet article.
D’abord, il est important de comprendre ceci : les personnes que ces professionnels accompagnent au quotidien sont tous atteints de handicap mental et/ou moteur, et de fait sont sous tutelles. De fait, aux yeux de la loi, ils sont irresponsables. Leur violence, sauf dans des cas extrêmes, ne peut être sanctionné pénalement.
Ce qui n’est absolument pas le cas pour eux, qui, au quotidien, subissent la violence des résidents. Depuis désormais huit ans, ces situations de violences sont récurrentes :
- Gifles
- Insultes
- Enferment dans une pièce
- Vol
- Menaces
- Comportements déplacés ou sexualisés
Le tout dans un « milieu dur » : contrats précaires, tensions politiques et budgétaires.
Je songe notamment à un salarié, aide à domicile, qui était enfermé dans une pièce et n’était libéré que si la personne aidée considérait que le travail était fait. A cela se rajoutait des vols, des coups et des insultes quotidiennes. Dans ce cas, la personne « aidée » était majeure et responsable, et la sanction a été à la mesure des faits : pénale.
L’énumération de ces situations pourrait constituer un livre, mais ce n’est pas l’enjeu de cet article.
Cependant, nous comprenons que la violence est constitutive de la relation d’aide et d’accompagnement, et est potentiellement réciproque, notamment si le professionnel riposte. Elle devient alors maltraitance, ce qui est un autre continent de pensée, et extrêmement documenté qui plus est.
A ce démon du quotidien, l’éthique est souvent représentée comme le chevalier blanc. Sur le terrain, cela se traduit par des règlements intérieurs, des chartes de bonne conduite qui ne sont, comme les conditions générales d’un site internet, jamais lus…
Alors, quand une aide à domicile, un vendredi soir à 19h00, subit un attouchement accompagné d’une remarque salace, que faire ? Quand un éducateur spécialisé se fait arracher une partie de ses cheveux par un résident violent, que faire ? Se défendre physiquement, verbalement, au risque d’être licencié pour faute grave ?
Dans le meilleur des cas, une médiation se fait alors avec la direction et les personnes concernées. Une issue, favorable ou pas, est trouvée. Mais comme chacun le sait, le souvenir reste et la violence s’inscrit un peu plus dans l’intime du professionnel, à la manière d’un hématome sur sa conscience professionnelle.
Alors, comment vivre avec cette violence ?
Georges Bajoit nous fait part de trois attitudes envisageables : la loyauté, le pragmatisme et la fuite.
La loyauté :
face à la violence, l’aidant va renforcer sa motivation, la voyant comme une épreuve juste et renforcer ses convictions. Sous cet apparat idéologique, est larvé le burn-out, qui est le prolongement de cette violence.
Le pragmatisme :
face à la violence, l’ordre et la rigueur. L’aidant rappellera la loi, les chartes, appliquera les protocoles à la lettre. Sous ce masque de rigueur, est larvée cette fois la solitude.
La fuite :
face à la violence, l’incompréhension. Ne reste qu’à changer de métier, de structure, de public. Ici aussi, comme avec la loyauté, se cache un burn-out.
Nous nous rendons compte qu’aucune de ces réponses n’est la bonne face à la violence, quelque soit sa forme. Les travailleurs sociaux rencontrés m’ont fait part d’autres attitudes, ayant pour dénominateur commun la riposte : œil pour œil, dent pour dent. Cette réponse n’est clairement pas la bonne, la violence engendre la violence et pour le salarié, le licenciement pour faute grave sans autre forme de procès.
Comment faire de la violence son alliée ?
Le dialogue reste, et de loin, la meilleure réponse. Mais face à un résident qui vient de vous gifler en vous insultant, comment entamer un dialogue serein ?
Deux réponses peuvent être formulées : l’augmentation de moyens et la sécurisation des aidants. Mais ces pistes se retrouvent dans une impasse. Les structures manquent cruellement de moyens : le contexte actuel, sans entrer dans une réflexion politique, force à la survie plus qu’à la dépense.
Quant à la sécurité, peut-on envisager d’acheter des gilets pare-balles aux éducateurs ?
Enfin, une logique sécuritaire est en opposition totale avec la relation du CARE : elle part du principe que l’autre est une menace, et non une personne qui a besoin d’aide.
Une troisième voie se dessine, exigeante et sur le long terme : l’analyse de la pratique.
C’est dans cette apparente impasse que les groupes d’analyse de la pratique ouvrent une voie : celle de la prévention.
Comme le médecin que nous allons voir quand nous sommes malades, il ne guérit pas immédiatement, mais déclenche le processus de guérison. Si nous savons à quels besoins répondent ces séances, comment en faire un outil face à la violence des relations ? Libérer la parole, exprimer ses sentiments, idées et opinions peuvent-ils suffire pour résoudre un tel problème ?
De ce que nous avons lu, la meilleure et la plus belle des réponse est trouvée par Guy Bajoit : la confiance. [1]
Elle est, elle aussi, plastique et individuelle. Elle est un chemin intime et complexe car indissociable de la connaissance de soi comme professionnel de l’éducation.
Et ce chemin ne peut se faire seul.
En sus de l’équipe, un regard extérieur est nécessaire : celui de l’intervenant en GAP. Au fil du temps, parfois sur des mois, voire des années, une confiance se tissera entre le groupe et l’intervenant. La salle deviendra une zone de confiance, pas seulement un lieu où les salariés posent leur valise. Les collègues apporteront des conseils face à la violence des situations, entendront la souffrance de leur collègue. Et cette belle confiance est indissociable de la violence : elle en est même la matière première, à la manière des plantes qui peuvent être poison et médicament.
Comme joliment formulé par un salarié, nous « mettons des mots sur les maux ».
La temporalité joue également un rôle crucial : si les interventions sont ponctuelles, il sera impossible de tisser cette confiance via la formulation de la violence du métier.
Conclusion
En conclusion, nous comprenons bien que la violence est bel et bien la matière première des séances, mais qu’elle est transformée en confiance via les groupes d’analyse de la pratique en confiance, outil puissant pour aborder ces métiers en pleine sérénité.
Auteur: Jean Stéphane – intervenant en analyse de pratiques – spécialisé services à la personne
[1] Bajoit, G. (2005) . La place de la violence dans le travail social. Pensée plurielle, no 10(2), 119-135.
Crédit photo: Illustration générée par IA
Violence, GAPP, Agréssivité, Foyer de vie, SAD, incivilités, agression