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L’écoute de l’intervenant(e) à l’épreuve de son cadre interne

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A l’heure où l’on ne parle plus que «d’opérationnalité», de «qualité» et de bonne gestion, l’analyse de la pratique nous conduit à poser autrement la question de la vie quotidienne au travail.

Les professions du social et médico-social, pour lesquelles j’anime des groupes d’analyse de la pratique, sont confrontées à de nouvelles formes d’urgence sociale avec un accroissement de la pression sociale. Complexification des problèmes, difficulté d’accès au droit, crise de la protection sociale, crise financière, tendent à installer durablement des processus forts de précarisation. Se pose alors la question des moyens effectifs dont disposent les professionnels, mais également le sens qu’ils peuvent donner à leur travail.

Les métiers de la relation, par la précarisation, se sont complexifiés et se rajoute à cette difficulté la place de ces professionnels dans l’organisation.
L’analyse de la pratique peut mettre en évidence une richesse des pratiques, du point de vue des modes d’action mobilisés, des formes de coopération mises en œuvre. Les savoir-faire et les compétences professionnelles deviennent des outils précieux dans ce contexte d’action profondément transformé et bouleversé. Encore faut-il pouvoir prendre le temps d’échanger sur ce quotidien de travail, à distance du terrain et venir comprendre ce que ça vient résonner en chacun.

Le Groupe Analyse de la Pratique, un espace institutionnel à part, proposé aux professionnels

il semble nécessaire de favoriser les conditions pour refaire groupe et mettre à profit un espace propice à l’intersubjectivité. L’analyse de la pratique s’inscrit dans une tentative de prendre et retrouver du temps, le plus souvent à partir d’un contexte et d’une situation. Lors d’une première séance , je dis souvent aux participants que ceux qui peuvent le mieux parler de leur travail ce sont les professionnels eux-mêmes.

«Il s’agit de faire advenir de l’auto-réflexivité, de la pensée sur les liens (liens aux usagers, liens aux collègues, à l’institution et à l’histoire), de permettre le repérage des empêchements, des négativités, qui attaquent les liens de confiance.» 1

Dans cette démarche, ce qui est intéressant ce sont les questions qui se posent: quel problème je rencontre et comment je réfléchis pour faire autrement? Aller du côté de l’éprouvé, apporter des associations de pensées, plutôt que de l’interprétatif.

La mise en place d’un Groupe d’Analyse de la Pratique

Une intervention en analyse de la pratique va être avant tout et à chaque fois une aventure, une rencontre, une création originale.

Un cadre à poser

Les règles communes aux séances que je pose sont: le volontariat le plus possible, la participation active à toutes les séances, le respect des pratiques de chacun, le non jugement, la liberté d’aborder tous les thèmes professionnels, la confidentialité des échanges. Ainsi L’analyse de la pratique se propose comme un espace de découverte, d’expérimentation et de mise en sécurité, borné par la durée des séances, leur rythmicité et le contrat qui lie, l’intervenant et le groupe.

La trame pédagogique s’appuie sur l’expérience quotidienne des professionnels. La première séance inclut la présentation de chacun .Les séances partent en majorité d’une situation professionnelle vécue, apportée par les participants, afin de permettre de parler de sa pratique et de la penser.

La parole narrative permet au professionnel d’atteindre, par le récit, ce qui fait vérité pour lui et avec les autres.

En animant des Groupes d’Analyse de la Pratique, je pose un cadre formel, énoncé et entendu par tous, qui offre un premier élément de contenance. Mais un deuxième élément de contenance que C. Henri-Ménassé appelle le point nodal est le cadre interne de l’intervenant. Comment se construit-il, garantissant la qualité de l’écoute du praticien? Y aurait-il juste à tendre l’oreille comme le souligne C Henri-Ménassé et de poursuivre: «il faudra déchanter, ou s’enchanter, c’est selon: le cadre interne n’est pas de ce bois-là. cette écoute est particulière. Nous disons volontiers que c’est une écoute en constante réactualisation, en constant réaménagement».2

Des questions et des hypothèses énoncées

Comment travailler ma place et celles des professionnels lors d’une demande de GAP et de son animation? De quel groupe s’agit-il, qu’est-ce qui les unit? Comment le sujet arrive à parler de lui? Comment parler de soi sans se perdre, intérioriser le fait que chacun a une place dans le groupe et que faire de cette place? Comment trouver ma place dans ce groupe et dans l’institution? Qu’est-ce qu’écouter, accueillir et contenir? Comment accueillir la souffrance de l’autre et pouvoir en parler? Comment accueillir leur fragilité et avoir une écoute de la place de chacun? Qu’est-ce qu’une écoute qui prend en compte l’espace inter, intra subjectifs et groupal où le groupe, l’institution et la société s’emboîtent.

À partir de mon expérience et de ces questionnements suscités, la problématique dégagée se formaliserait en 2 questions , l’une qui a trait à la dynamique de groupe et l’autre à mon cadre interne:

  1. Comment le sujet arrive à parler de lui? Avec comme hypothèse que dans le groupe c’est le partage d’expériences vécues entre les personnes (l’intersubjectivité), qui crée du lien et permet à la personne de parler d’elle même, de se raconter.
  2. Quelle place, je prends (intervenant) dans le groupe et dans l’institution ? Avec comme hypothèse que par la connaissance de mon cadre interne, je définis un espace, pour recevoir chaque vécu et ressenti des membres du groupe, ainsi que leurs interactions réciproques. Pour cela, il est nécessaire d’identifier mes propres mouvements internes dans l’objectif de mieux maîtriser leur portée, leur projection et en mesurer l’impact sur les professionnels.

Ce que permet l’Analyse de la Pratique:d’une approche sociale à une pratique clinique

Ce qui fait groupe

L’originalité de Balint est d’inviter les professionnels à lâcher la matérialité des faits, pour privilégier ce qu’ils savent ou croient savoir des situations dont ils parlent, et restaurer ainsi la subjectivité de leur approche.

Dans leurs tâches quotidiennes les professionnels sont dans le faire et n’ont pas le temps de penser. L’objectif est de mettre au travail une groupalité, travailler ensemble, penser ensemble, en acceptant les différences de point de vue qui ne remettent pas en cause l’identité professionnelle.

Interroger le cadre et mon cadre interne pour ouvrir un espace contenant-
Pour ne pas rester dans les modes opératoires et amener les professionnels à penser, il est nécessaire que je puisse entrer dans le partage d’affects du groupe . Aller chercher du côté des éprouvés, pour que ces derniers soient «une force de soutien à l’élaboration de tout un chacun dans la position qui lui est propre», comme le souligne J.Rouzel.3

Ces métiers confrontés à l’indicible, l’inavouable, l’échec…la peur, la mort, la violence, mais aussi les difficultés liées à la reconnaissance de leur métier, leur place dans une organisation continuellement en changement, basée sur le chiffre, le lien avec la hiérarchie et son rapport à l’autorité… Tout ce constat amène à penser que l’engagement, par un travail de groupe, avec des professionnels , sera comme le dit Vincent Di Rocco «un temps d’une clinique du « petit rien » et du pas « grand-chose », l’attention de chacun se porte sur un regard, un geste, auquel le commentaire collectif donne vie et sens.»4

Ainsi, par une meilleure connaissance de mon cadre interne, de mes affects, ce que cela me renvoie, j’essaie de définir un espace, pour recevoir chaque vécu et ressenti des membres du groupe. Comment entendre les mouvements de résistance, les miens et les leurs, créer un espace transitionnel pour permettre une transformation et leur permettre d’élaborer leur propre compréhension.

Enseignements retirés et conclusion

En quoi, l’analyse de la pratique est bénéfique, alors qu’elle ne propose pas de réponse ou de solutions directes aux problèmes posés?

«La réponse est le malheur de la question» avait l’habitude de dire le célèbre pédagogue Jean Piaget. En (se) donnant une réponse, on (se) ferme la porte à la réflexion et au questionnement. Je pense que la qualité d’un aidant tient à sa capacité de se poser des questions, de ne pas s’enfermer dans une réponse, de garder son esprit ouvert et de cultiver une certaine modestie face à la complexité du psychisme humain et des relations humaines.

Les professionnels sont parfois dans l’urgence et dans la recherche de solution, à l’instar des usagers dont ils s’occupent, ils cherchent un sachant qui va les aider, je n’ai jamais pensé occuper cette place, mais au-delà de cela, comment mieux me connaître pour les amener à penser par eux-mêmes.

Les professionnels avec lesquels je travaille sont confrontés à l’usure du quotidien, et donc d’offrir un espace de «prendre soin» afin qu’ils puissent à leur tour, en cascade, mettre en œuvre un «prendre soin» pour ceux qui s’adressent à eux.

J’ai intégré le fait de ne pas vouloir être dans un savoir. L’intervenant accompagne les professionnels à entrer dans un processus de théorisation à leur propre compte. La fonction de l’intervenant consiste à donner des outils qui introduisent une possibilité de penser autrement.

Pour résumer

Pendant le temps de la séance d’analyse de la pratique, j’essaie de comprendre ce que disent les participants du groupe .Quelle histoire racontent-ils? Est-ce que nous avons le même désir d’entendre et de comprendre. Puis, d’une séance sur l’autre, quelle va être mon écoute, est-ce que je vais être capable de me décoller de ce qui est dit est comprendre de quoi ces participants «parlent» vraiment. Qu’est-ce qui les inquiète tant? Quel est le scénario écrit à plusieurs qu’ils déroulent ensemble, en chœur, dans l’espace du dispositif? Quelle histoire «me» racontent-ils, et en partant de là, quelle histoire singulière «se» racontent-ils? Comment le groupe se clive toujours de la même façon lorsque l’un ou l’autre de ses participants évoque telle situation, ou que tel genre d’histoire fabrique du morcellement, ou provoque de l’unanimité, ou sécrète du brouhaha… comment ma parole, mon écoute, vont permettre que le regard posé soit un peu différent.

 D.MATHE-JORET

En conclusion

«On ne communique pas qu’avec des mots, on arbitre cette situation relationnelle. Si nous sommes à la recherche d’éléments de compréhension, ce ne sont pas les clés d’un savoir sur l’autre qui importent, même si une conceptualisation est à l’œuvre, mais le véritable objectif, la véritable intention, c’est que quelque chose du sujet soit entendu et qu’une modification interne puisse avoir lieu pour celui qui l’entend.»5

Dominique JORET MATHE, psychologue, intervenante Analyse de la pratique


1 Revue de psychothérapie psychanalytique:intervenir en institution:préserver de la groupalite et restaurer de l’intermédiaire 2017/1 n°68 Erès page 264
2 Constitution du cadre interne Catherine Henri-MénasséDans Analyse de la pratique en institution (2009), pages 212 à 240
3 J.Rouzel La supervision d’équipes en travail social. (Dunod, 2015)dans Santé Sociale
4 Vincent Di Rocco Espoir et désespoir dans les groupes d’analyse des pratiques Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe 2017/1(n°68)
5 Vincent Bompard L’analyse de la pratique, le temps retrouvé/DUAP Lyon
Mots clefs: écoute, cadre, groupe, espace.


Crédit photo: Couleur de Pixabay

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