Inclusion-exclusion, le nœud
Dans le précèdent article, « A propos de l’inclusion », sa conclusion introduit nécessairement la question sociétale. Ne serait-ce que par le concept lui-même, puisqu’il est question d’inclure et cette inclusion ne peut se concevoir hors d’un cadre, d’un clos, celui-ci alors ne peut être que celui de la société, encore faut-il que celle-ci incluse ou exclue, c’est donc la question sociétale…
Il serait tout à fait prétentieux de ma part de vous exposer en quelques phases les caractéristiques d’une société qui relèvent de travaux conséquents d’anthropologie. Cependant simplement quelques observations basiques permettent de bien replacer le thème de l’inclusion dans la question sociétale.
Ces dernières années, la recherche scientifique a mis en évidence dans l’approche de la vie animal que contrairement aux illusions nombreuses des siècles passés, l’espèce humaine n’est pas la seule à avoir une organisation sociétale. Non seulement elle n’est pas la seule, mais on pourrait même dire que par rapport à certaines espèces qu’elle pourrait être largement beaucoup moins achevée et organisée. Si on prend la société des fourmis dans l’axe évolutif, celle-ci atteint des perfections dont nous sommes très éloignés. En termes d’inclusion tous ces membres sont collectivement organisés et fonctionnelles. Pour autant dans cette société parfaite, nous les humains, est-ce qu’on s’y retrouverait ? Surement pas, une telle société où tous les axes d’activités sont organisés dans un même but, nous semblerait être totalitaire et insupportable. L’espèce humaine a donc une forme particulière de s’être organisée en société.
En m’appuyant sur les travaux et écrits d’Axel Kahn, le grand généticien, notamment dans son livre « Être humain, pleinement de 2016 ». Il fait ressortir une observation intrigante, comme quoi la civilisation humaine avait énormément évolué sur le plan des savoirs et de la technologie, mais sur le plan des mœurs elle n’avait absolument pas évolué et est restée stable depuis des milliers d’années. A cette observation on peut simplement faire le constat que l’évolution Darwinienne était tombée en panne depuis longtemps chez les humains, contrairement à l’évolution de ce côté dans d’autres espèces animales.
Sur cette panne quelle observation pouvons-nous faire ? Certainement une des principales caractéristiques de l’espèce humaine, c’est que celle-ci n’est pas sociale au fait de sa naissance ou de sa génétique, mais qu’elle le devient et elle le devient non pas dans un développement programmatique, mais par la transmission, c’est-à-dire à partir du principe éducatif. Le principe éducatif étant construit sur l’intégration, faire sien les codes, règles, etc. pour insérer, faire sa place, ce qui n’est pas du tout de l’inclusion, car celui qui ne fait pas sa place est de fait exclue. Il est donc à la base un être asocial qui peut ou pas devenir social. À partir de là, une autre caractéristique ressort. N’étant pas socialisé à la naissance, l’être humain contrairement à la fourmi est fondamentalement singulier, il est seul comme il est, pour être plus précis, il est basiquement un être exclusif, un exclus naturel, le seul et l’unique. Il n’y a pas deux humains, même chez les jumeaux, à être totalement identique. Alors comment fait-il pour devenir social ? Ici, on pourrait dire et c’est la bizarrerie de l’être humain, pour lequel il se produit une dynamique infernale, singulier qu’il est, pour autant, il ne se supporte pas d’être seul, un exclus, il lui faut être avec les autres, voir même que les autres fassent qu’il soit lui-même, un inclus, un être inclusé, c’est ce qui s’appelle la reconnaissance, mais pour autant sans perdre sa singularité, son exclusivité. Alors à partir de là, comment va-t-il faire société ? Pour faire avec les autres, puisque celle-ci n’est pas programmée dans sa biologie, il va construire du commun, être comme, rechercher à être semblable pour ne pas rester seul, mais au défi de mettre à mal sa singularité. Ce commun est fabriqué pour l’essentiel à partir de deux substances très puissantes à l’activité sociale humaine, la règle pour régler son comportement notamment la sexualité par rapport aux autres et les normes, les normes pouvant être la religion, ce qui relie et fait lecture pour solidifier ce commun, ce semblable (La croyance et la pensée unique font société et font solidarité). Également dans nos temps contemporains, la science normalise beaucoup. Pour autant, il ne trouve jamais réellement satisfaction entre sa singularité et le commun, d’où encore une autre caractéristique de l’être humain qui rejoint l’observation d’Axel Kahn dans le caractère non évolutif des mœurs humaines, c’est que ce commun n’étant jamais satisfaisant, il se situe toujours à la fois comme un être asocial et social qui s’inscrit dans un mouvement perpétuellement que l’on retrouve bien dans l’histoire humaine dans un balancier permanent entre civilité et barbarie. En fait l’histoire humaine n’est pas une répétition, mais plutôt une constante, d’ailleurs il suffit de regarder l’actualité pour s’en convaincre.
À partir de là, l’être l’humain est asocial et social, en quête de civilisation et barbare dans sa recherche d’exclusivité qu’il l’installe dans le défi permanent entre semblable et différent. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, c’est bien également dans cette dynamique que se situe la question de la personne en situation de handicap, l’exclusivité et l’inclusion. Quand il construit le commun, il inclut les semblables, mais ceux qui ne sont pas semblables n’entre pas dans ce commun. Les différends, alors cela devienne étrange à ce commun, étranger donc exclus… Mais aussi, leurs caractéristiques d’être différends met en avant leurs singularités, c’est-à-dire leurs exclusivités. Ici aussi ce crée un mouvement permanent entre inclusion, dedans le commun et l’exclusion dehors de ce commun… J’y reviendrai dans ma conclusion.
Maintenant je vais vous raconter une histoire de fou ou pour les plus intello, rentrer dans la philosophie à partir de l’absurde également cher à Albert Camus.
Je vais vous parler de ce qui m’est arrivé un jour devant une place bleue. La place dans les parkings publiques bleus où se trouve dessiné une icône avec un personnage sur un fauteuil roulant.
L’autre jour dans un bourg du Gers où je devais me rendre, j’ai voulu stationner ma voiture dans un parking publique et j’ai tourné en rond pendant un bon moment pour trouver une place, malgré qu’il y en avait bien une de libre, mais c’était la place bleue réservée aux personnes en situation de handicap. Tournant et retournant, au bout d’un moment, je fini par un coup de chance d’en trouver une de libre et non bleu, par hasard juste à côté de cette place bleue. Sur le coup, je me suis dit c’est vrai qu’il y avait bien cette place bleue en préalable, mais elle n’est pas pour moi, c’est une norme et une règle sociale qu’on doit respecter pour les personnes en situation de handicap.
Tout content quand même d’avoir pu stationner, au moment de quitter mon véhicule, je constate en arrière de cette place bleu, un panneau où il est marqué cette phrase : « Si tu veux ma place, prend mon handicap ! ». Sur le coup, je me suis dit, ça s’est bien envoyé contre tous ceux qui manque de respect aux personnes en situation de handicap. Puis en me rendant à mon rendez-vous, je me suis dit : « Il y a un truc qui ne va pas dans cette phrase… ». Enfin, cette phrase dit qu’être handicapé c’est forcément négatif et pas enviable, de tel façon qu’à cause de ce handicap, je mérite un peu de compassion et justifie une place que toi qui n’est pas handicapé tu ne peux pas avoir. Encore une fois, pourquoi donner une image dévalorisée du handicap pour justifier cette place. N’aurait-il pas été mieux de mettre : « J’ai la chance d’être handicapé, c’est pour ça que j’ai cette place et que toi tu ne peux pas l’avoir parce que tu n’es pas en situation de handicap… ». Naturellement, ce type de phrase fait tout de suite réagir et crier au scandale…
Il n’en reste pas moins que cette question d’introduire le concept d’handicap toujours sur l’angle de la dévalorisation, mérite d’être posé. En écrivant cela, je pense toujours à la phrase de Stephen Hawkins : « c’est grâce à mon handicap que j’ai pu développer mes travaux en physique fondamentale autour des trous noirs… ».
(D’ailleurs ce qui est intéressant à ce sujet, c’est que le cœur du cœur du trou noir qui est un point infini et qui s’appelle également en physique théorique la singularité. Concept qui nous occupe dans cet article). Maintenant que j’avais commencé à soulever cette curiosité autour de cette phrase, j’ai poursuivi ma réflexion autour de cette place bleue en me posant la question, comment situer cette place dans l’inclusion.
Est-ce que cette place bleue est comprise dans l’inclusion ? Oui, elle incluse dans le parking, c’est indéniable, elle n’est pas au dehors. Pourtant il y a un problème, de fait qu’elle soit réservée aux personnes en situation de handicap, elle exclut les non handicapés, donc c’est aussi une place exclusive. Pour une société inclusive on peut mieux faire, sans compter que d’une façon ou d’une autre, les personnes en situation de handicap se trouvent dans ce cadre-là discriminées et particularisées, d’une certaine façon exclue de fait de la norme générale. En m’inspirant d’une phase que j’avais entendu, lors d’une conférence sur le thème de l’inclusion, un intervenant avait dit : « Le jour où on sera vraiment dans une société inclusive, il n’y aura plus de place bleue !». Donc supprimons les places bleues et là il n’y aura plus de discrimination. Tous à égalité de droit, à partir de là chacun étant autonome, chacun se débrouille comme il peut à trouver sa place et là, c’est l’inclusion parfaite. Continuant la réflexion de nouveau, car il y a un truc qui ne va pas dans cette société inclusive, parce que comment va faire celui qui ne peut pas marcher s’il n’a pas à sa disposition une place particulière et qu’on finit par lui rend inaccessible des espaces sociaux desquels il peut bénéficier. Après tout, il a besoin d’exclusivité et d’avoir une place exclue de la norme générale, différente des autres. Après un grand soupir, je ne voyais pas de solution, si ce n’est celui d’être confronté à un impossible.
Qu’elle est cet impossible sur le constat qu’il ne peut pas avoir de solution satisfaisante. Si on inclut d’un côté, presque automatiquement on exclut de l’autre. Si on donne une place particulière pour des personnes en fonction de leurs états ou de leurs fonctions, j’exclus les autres pour la même place. Il devient alors impossible de sortir du dilemme. Ça fait nœud, l’inclusion se trouve lié à l’exclusion, l’un ne peut pas aller sans l’autre.
Alors on fond pourquoi il y a cet impossible, tout simplement parce qu’on est au cœur d’un paradoxe. En philosophie un paradoxe est un problème auquel il n’y a pas de solution hormis simplement d’accepter le paradoxe. Entre autres, les plus connus sont la vie et la mort, on ne peut pas concevoir l’un sans l’autre. L’amour et la haine ou encore dans le médicosociale bientraitance et maltraitance, j’ai souvent soulevé ce paradoxe qui m’a valu de me faire mal voir dans certain milieu médicosocial, dans tout acte de soin dit bientraitant, il y a aussi sur un autre aspect de la maltraitance.
Si on prête attention dans les paroles exprimées par elle-même autour des personnes en situation de handicap, le plus souvent, on entend leurs dire qu’il ne devrait pas y avoir de personnes en situation de handicap, on est des adultes comme tout le monde, puis quelques instants après, oui, il faut prendre en compte notre situation de handicap, on a besoin d’être reconnu comme tel et on n’est pas comme tout le monde… C’est le paradoxe de la situation de handicap.
C’est bien compliqué tout ça, je vous l’avais bien dit dans mon introduction, mais peut-on trouver une conclusion plus satisfaisant que cet impossible.
Au risque de me rendre insupportable, ce n’est surement pas du côté de la revendication pour l’inclusion que l’on va éviter cet impossible, car celle-ci, si elle va produire de l’inclusion, va aussi produire de l’exclusion.
Essayons d’aborder la question, non pas sur des démarches, de ce qu’il faudrait faire, mais simplement de poser un cadre de vie. Posons simplement ce cadre de vie basique, celui du vivre ensemble sans se préoccuper des places des uns ou des autres. Pour être rigoureux, pour donner suite à mon développement sur la singularité et le commun, il vaut même mieux proposer le concept du « être ensemble », car la socialisation, le commun, se trouve dans l’être, même quand il est seul. Mais attention, ce « être ensemble » se situe au niveau d’un collectif humain, c’est-à-dire un lieu de vie où les humains vivent ensemble. Ce lieu de vie bien connu par exemple peut-être un village ou un quartier…
C’est quoi le village. Le village est un groupe d’humains différends qui vivent leurs singularités chacun dans sa maison. Chaque maison n’est pas celle des autres, mais la sienne, où il vit en fonction de ses propres règle et valeurs, son exclusivité. Pour autant, si on en reste là, chacun dans sa maison ne fait pas le village. Pour faire le village, il faut une autre maison, la maison commune où toutes les singularités ou leurs représentants fabriquent la règle commune. Cette règle commune fera alors le village, fabriquera son identité et sa culture propre…
Également, à partir du vivre ensemble on peut faire une observation qui permet bien de conclure cet exposé, regardons aussi les tous petits enfants à l’école maternelle. Quand il découvre la première fois les autres enfants dans leur grande naïveté qu’ils sont, ils ne prennent en compte aucun signe de l’étrangeté de l’autre qui leur est totalement inconnu dans cet espace de vie collective. Ils sont à la fois ensemble et chacun est dans sa singularité de naissance. Oui c’est curieux, on pourrait dire au départ l’école est inclusive et du fait de l’acquisition des savoirs elle devient exclusive…
En conclusion, aborder l’inclusion ne peut éviter d’aborder également celui de l’exclusion. Les deux sont noués et vouloir uniquement l’un, produira nécessairement l’autre. Il ne peut dans l’existence de notre domaine sociétale avoir le moyen d’éviter ce nouage. La nature humaine est faite ainsi et comme d’autres paradoxes, il faut vivre avec. La situation de handicap ne peut pas échapper à ce paradoxe sauf à vouloir simplifier ou nier cette réalité….
Didier BOUTERRE – Psychologue-Formateur-Superviseur
Inclusion-exclusion, Une question sociétale
2 – Inclusion-exclusion, le nœud
Crédit Photo : Image par CraftyPease de Pixabay
- Didier Bouterre
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