Familles monoparentales: Une aventure aussi pour le Travail social
Le nombre de familles monoparentales ne cesse de croitre. En 2005 L’INSEE recensait déjà 1,76 million de ces familles constituées d’un jeune de moins de 25 ans et d’un seul parent. Les institutions sociales et médicosociales comme leurs travailleurs sociaux sont confrontés aux problématiques rencontrées par ces familles et à l’accompagnement de celles-ci. Anne-Catherine SABAS, Psychothérapeute, psychanalyste, superviseur, formatrice et intervenante en Analyse des pratiques nous propose un ouvrage éclairant sur les situations vécues par ces familles et les enjeux de celles-ci. Ce livre viendra compléter, enrichir voire transformer les représentations des professionnels contribuant à une plus grand prise en compte des besoins de ces familles.
Des parents submergés par l’ampleur et la continuité de la tâche et de la position parentale.
“Depuis 20 ans d’exercice en cabinet auprès des parents, enfants et adolescents, j’ai vu la proportion de parents solos augmenter. Les professionnels du champ social, éducatif et médical demandent aussi, dans leur supervision ou analyse de pratique, à être formés pour ces ces missions. En effet, l’accompagnement des parents solos, que ce soit pour les éducateurs, les psychologues, les AMP, ou les assistantes sociales, doit porter sur des aspects multiples et indissociables. Car ces parents sont submergés par les défis quotidiens, et viennent chercher un soutien extérieur pour tenter d’apaiser leur souffrance et leur fatigue extrême. Il s’agit alors de pouvoir passer en revue les divers aspects de leur vie. Les aspects visibles d’abord: la gestion complexe du temps, les finances, l’isolement par exemple. Il s’agit ensuite de les aider à reprendre confiance en leur position de parent, en leur cheminement, et en la relation avec l’enfant, qui va devoir se tisser différemment,. Une question se pose alors: comment, au quotidien, réussir à protéger l’équilibre familial en n’étant qu’un papa, ou qu’une maman? En d’autre termes, comment ne pas se perdre soi-même alors que les enfants vont solliciter, jour après jour, les deux fonctions parentales? Il va alors falloir trouver comment recréer cet équilibre symboliquement. Et c’est là que la parole vient suppléer, apaiser, expliquer, et mettre en perspective Une partie entière de mon livre est d’ailleurs consacrée à la manière dont le discours peut venir combler l’absence de l’autre parent.
Il est vain de croire qu’un parent va pouvoir jouer les deux rôles. Il devra aussi s’appuyer sur des tiers. C’est ici que les diverses structures accueillant les parents ou – et les enfants, ont un rôle décisif à jouer: structures ASE, PEAD, Accueil Mère-Enfant, CMPP, IMP, MECS…, mais aussi enseignants et représentants du corps médical. Ces professionnels doivent être formés et soutenus pour être capables de saisir les enjeux de cet accompagnement, au niveau psychologique, social, voire juridique.
Je propose de nombreuses pistes en ce sens. Car si le parent solo et son enfant ne peut s’appuyer sur un tiers, et un regard extérieur, il risque d’être amené à se sacrifier lui-même, et à nier sa spécificité d’homme ou de femme au-delà de sa fonction parentale. Or, se sacrifier est toujours contre-productif: un parent heureux transmet naturellement à son enfant la confiance en l’avenir. “
Du questionnement des réalités parentales
“Un aspect important de l’accompagnement des parents solos concerne les deuils nécessaires: deuil de l’ex-conjoint, deuil de la famille idéale, et toutes les culpabilités associées. Ainsi, lorsque l’adulte prend conscience de ses capacités de résilience, il est plus solide dans sa parentalité. L’enfant le sent, l’enfant le sait, et peut ainsi plus aisément considérer cette épreuve de la vie comme une crise dont on peut aussi tirer des avantages. Mais pour que la résilience soit possible, il faut un “tuteur de résilience”. C’est ce tiers que le parent solo vient chercher auprès des structures sociales et médicales. Cette présence, représentée par l’intervenant médico-social ou le thérapeute est fondamentale. Elle vient aider enfant comme parent à défusionner, et peut permettre de reposer le cadre que le parent solo exténué et fragilisé a du mal à tenir. Dans ma pratique de la supervision et de la formation d’équipes, je constate aussi à quel point les questions du stress post traumatique, du deuil, du transfert, de l’inconscient familial, et de la communication avec un enfant en souffrance sont essentielles à l’accompagnement. “
La mono-parentalité comme transition ou passage
“Le parent peut l’envisager comme un passage s’il est accompagné dans le deuil de la vie d’avant. Pris par la culpabilité, les difficultés financières assez récurrentes, et le manque de temps, il a souvent consacré toute son énergie à accompagner son enfant dans cette épreuve, mais en oubliant de s’occuper de guérir ses propres blessures. S’il accepte d’être accompagné sur ce chemin, il pourra guérir son identité d’homme ou de femme, et sera susceptible de s’ouvrir à une autre rencontre amoureuse. Ainsi, il se mettra an route pour l’aventure de la famille recomposée, qui peut être source de joies multiples pour chaque membre de la famille. Rappelons-le, l’intervenant social ou le psychologue doit soutenir les familles dans ce passage, et les aidant à se projeter plus loin que le drame, au-delà de l’abandon, vers la reconstruction d’un équilibre.”
Une mise à distance des représentations et affects en lien à la Parentalité pour les travailleurs sociaux
“La parentalité est un des domaines où les préjugés et les attentes sont les plus nombreuses. L’âge adulte est d’ailleurs le moment où l’on est censé(e) avoir fait le deuil des parents idéaux. Or, rappelons-le, il existe des ” bons” parents dont les enfants ont du mal à accéder au bonheur, et l’inverse est aussi vrai: certains enfants épanouis, futurs “bons parents”, ont eux-mêmes souffert de parents maltraitants. Dans mon ouvrage, j’ai voulu rappeler que nous portons en nous le germe de notre propre accomplissement, et que notre passé n’est pas responsable de tous nos malheurs. Nous devons sortir du jugement, de la honte, et les parents solos qui souffrent parfois du regard dévalorisant de la société le savent: ils doivent trouver en eux les ressources pour accompagner leurs enfants malgré les accidents de vie, et un sentiment de solitude parfois désespérant. Le psychologue ou le travailleur social est celui qui recueille les confidences, facilite ainsi la résolution du traumatisme, et transmet, jour après jour, des pistes éducatives.
Les professionnels doivent donc se souvenir que, comme certaines cultures le vivent plus spontanément, élever et éduquer un enfant est l’affaire de tous. Un être se construit grâce à toutes les figures d’attachement rencontrées sur son parcours. Et la solidité de ces figures d’attachement sera décisive pour reconstruire une image de soi malmenée par les événements. En fait, je ne crois pas à la neutralité absolue du thérapeute ou de l’aidant. Au contraire, les professionnels travaillent, interviennent et se positionnent à partir de ce qu’ils sont: des êtres de sentiments, d’émotions, et d’engagements divers. Qui savent que tisser des liens est fondamental pour développer nos facultés cognitives et trouver un positionnement harmonieux dans le monde. Alors, pour être des professionnels vraiment aidants, ne laissons pas notre humanité de côté. Ces êtres que la vie place sur notre route, que ce soit dans des institutions ou dans nos cabinets privés, comptent sur nous. Regardons-les avec notre bienveillance, nos affects, mais aussi notre confiance. Souvent, cela suffira, là où le traumatisme l’avait figée, à remettre en mouvement la force de vie.”
Propos recueillis par Marc Lasseaux
Travailleurs sociaux, Travail Social, Psychologue, Educateur, AMP, Famille monoparentale