Des effets de l’Analyse des Pratiques en milieu Hospitalier – Témoignage
Une infirmière, Cadre de santé en Centre Hospitalier nous offre, ci-dessous, le témoignage de ce que donne à voir de sa fenêtre la découverte de l’Analyse des Pratiques Professionnelles. Compte tenu de sa richesse et de sa singularité nous avons souhaité, avec l’accord de son auteure, vous en faire profiter. Il intéresse tout particulièrement les soignants et le management des services hospitaliers : RH, Chefs de service... Il apporte, nous semble t-il, un peu d’oxygène dans un univers complexe, contraint et sous tension.
“Je me permets ce message dans les suites de notre atelier « analyses de pratiques » que vous avez animé sur le centre Hospitalier. Je le mets au singulier mais vous étiez deux, je ne l’oublie pas, merci à tous les 2 donc pour ce qui suivra…
En effet, il me fallait poser des mots sur ce voyage et garder une trace de cette traversée. Moi qui n’attendais rien, qui venais en « touriste », je n’ai pas été déçue ! Ainsi par ce message, je souhaite vous remercier pour la compagnie, les bagages et les photos-souvenirs. Vous m’avez donné à penser (et à panser), quelle aubaine pour une infirmière.
Partir en voyage c’est accepter de revenir différent, de se perdre par moment pour mieux se retrouver. Le matin vous nous avez guidé pour nous ouvrir l’esprit, pour affuter nos sens et assouplir nos schémas. C’est vrai que voyager demande quelques préparatifs ! Vous nous avez fait ouvrir les valises, composté les tickets, proposé d’abandonner là, quelques instants au moins les sentiers balisés, c’est à l’Aventure que vous prépariez ce groupe hétéroclite. Comme souvent en voyage, nous n’avions pas choisi nos compagnons de route et j’étais plus que curieuse de voir comment nous mènerions la barque ensemble… Le chemin ne semblait pas clair, mais dense, touffu, confus et en fin de matinée, vous étiez même proche d’avoir perdu sur la carte certains d’entre-nous : pas de GPS, pas de boussole, c’est à l’instinct que vous nous proposiez de nous diriger. Un vrai dépaysement !…
En début d’aprem nous avons embarqué, quittant les berges fermes sans même nous en rendre compte, et déjà il fallait se saisir de cette fameuse bouée ! C’est donc par flotter que nous commencerions sur le fleuve management. Commencer par un sauvetage qui n’en était pas un, depuis un navire qui semblait prendre l’eau, la voile responsabilité hissée comme… Un drapeau ? Un trophée ? Un fanion qui prévient de la difficulté ? Un génois majestueux qui nous fait avancer ? Quelle voile avais-je envie de hisser dans cette navigation ? J’ai hésité un instant à la sortie du port, surveillée par les phares et puis j’ai décidé : je serai authentique, faisant fi de la hiérarchie je montais à l’assaut des drisses dans la mature.
Je me suis vue pirate, naviguant en eaux troubles, à l’assaut des ennuis, slalomant entre les îles sans trop m’attarder pour ne pas me faire attraper, moi aussi à l’instar de ma collègue en marinière j’aurai pu me faire déborder par l’émotion, je la sentais bouillonner sous l’étrave cette émotion. Comment ne pas donner de prise à ce grand espadon, comment ne pas se faire embrocher en public ? Vous nous l’aviez annoncé, il y aurait des biais. A moi de décider sous quel pavillon je voulais croiser… Croiser c’est bien le mot, trouver la rencontre entre les caps improbables de la puissance et de l’impuissance, du deuil et du sacrifice. Ferrailler à la poupe sous l’égide de Rogers et Lacan – « amers », monuments- larguer des certitudes à la proue, danser dans les cordages, pour dessiner doucement une route nouvelle du haut de la vigie. L’avez-vous aperçu depuis la crête des vagues ce nouveau territoire de la responsabilité ? De MA responsabilité ? Ce nouveau périmètre dont j’entend chanter l’écho à plusieurs niveaux, pour moi, pour eux, pour nous ? Quand la gestion de problème fait partie des cartes anciennes et que je mets le cap inconditionnellement vers la gestion de projet. Comment faire si le sacrifice à Poséidon ne suffit plus ? Si je ne peux plus me jeter en pâture au cœur de l’ouragan ? Vous ne le savez pas mais votre intervention arrive à point nommé pour que je change de voiles, que je cherche comment me laisser aussi porter par le plaisir et l’envie pour surfer sur l’écume et arrêter de nager à contre-courant sur mon radeau croulant. Je me vois bien en Robinson finalement et c’est là la rencontre avec ce nouveau moi, cette réconciliation entre personnel et professionnel. Accepter de débarquer en terres inconnues avec un carburant puissant à partir de maintenant : ENJOY ! Et j’en ai trouvé là l’essence délicieuse, la nourriture brute, des parfums d’inconnu. J’ai beaucoup souri Messieurs de vos propositions, savourant les mots, les sauts, les cabrioles, invitant l’improbable parmi ces gens si sérieux. Ces marins chevronnés, qui portent des barrettes sur leurs épaulettes et leurs sifflets en bandoulière : à la manœuvre moussaillons ! Je les ai vu confus depuis la lunette arrière, tentant de démêler les différents étages, les niveaux, la plasticité des mots les ayant rendus quelques peu perplexes. Ils ont semblé même un instant apercevoir une sirène, un animal étrange (Kirikou et la sorcière) ou voir un poisson volant, ne trouvant pas leur compte dans cette folle battue, comme stupéfaits de votre audace ultime, de ce brouillon mélange dont je mesurai chaque instant le côté magistral. Il leur faut du concret, du carré et du droit, alors que sur les flots nous cherchons le « qu’on crée », le « car… et ?… » et la fluidité de la vague. J’ai mesuré l’écart entre leur poste et le mien : perchée dans les cordages, à redescendre soudain, cherchant un équilibre sans cesse bousculé par le creux de la vague ou le tumulte du vent. J’ai mesuré l’écart entre eux et moi et compris qu’il faudrait que je prenne le temps de les inviter parfois dans ma course folle de la proximité ou m’inviter chez eux sur le pont et sa solidité. Mais il faudra traduire…
Nous sommes revenus à terre, un peu brutalement, et c’est comme hébétés qu’il nous fallu trouver comment raconter l’indicible périple. Oui, comment aller dire aux autres que nous avons croisé un élan et pris des douches imaginaires, que nous avons entraperçu l’île maternité, que nous avons croisé dans les eaux de nouvelles générations osant envisager de sortir des routes maintes fois sillonnées ? Elles sont pourtant connues les routes de la soie ou du sel ? Comment leur expliquer à la manière d’Ulysse cette folle épopée ?
Je me suis éclipsée vers mon secteur de soin, emportant avec moi cette plasticité, savourant encore les remous, le roulis, comme un mal de terre qui se rappelle à moi, aspirée déjà par la force du courant… Je ne suis pas restée pour écouter le récit déjà happée par les grandes dents du flot urgent (flow ? urgent un vendredi ??).
Merci Messieurs pour la magie (l’âme agit ?) de ces quelques heures d’explorations, elles marqueront sans doute un changement de cap ou une nouvelle dérive dans mon quotidien d’encadrant. Je n’étais pas à convaincre de l’importance des mots, de la chance du partage, de la nécessité de s’asseoir en cercle… Et je n’ai aucun doute pour tous les incrédules, ne leur en déplaise : ça a marché !
J’ai vu de mes yeux une certaine incrédulité, il ne sera certainement pas facile d’entrainer à nouveaux les esprits cartésiens sur ces nouveaux chemins… Mais…Personne n’a quitté le cercle, pas même les taiseux ! J’ai bon espoir alors que doucement s’installe le souvenir de cette traversée et qu’un jour il suffise d’une opportunité pour remonter un équipage d’explorateurs vers de nouvelles contrées, des terres inexplorées.
Je vous remercie donc pour l’album-souvenir, pour les rires et le temps que vous nous avez consacré, pour avoir rouvert devant moi l’océan liberté, je l’avais oublié !
Je vous souhaite le meilleur (de nouvelles traversées ?)”
Cadre de santé Infirmier en Centre Hospitalier
Ce témoignage dont la publication a été autorisé par l’auteure sous couvert du respect de son anonymat fait suite à une formation de “Découverte de l’Analyse des Pratiques” animée par Grégory Volle Formateur et Intervenant de l’Association APP Santé Social.
Crédit photo : Image par Gerd Altmann de Pixabay