Skip to main content
Lille, Paris, Strasbourg, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Bordeaux, Rennes…
Plus de 500 Professionnels au service des Equipes

Recherchez dans les articles

Entre cybernétique et évaluation quelle place pour l’analyse des pratiques professionnelles

feedback dispositif rétroaction ESMS

Le ciel est tombé sur la tête des Etablissements Sociaux et MédicoSociaux (ESMS), le soir du 2 janvier 2002. L’évaluation interne/externe venait d’être instaurée par le gouvernement. Une logique et des dispositifs pour évaluer la qualité de leurs prestations, pensez donc ! Aujourd’hui, il apparait que l’analyse des pratiques professionnelles (APP) en est un des outils, et non des moindres. Quels liens entre l’évaluation, d’un part et l’APP d’autre part ?

De la rétroaction dans les processus

Les conférences Macy étaient un cycle de rencontre organisé de 1942 à 1953 par le neurologue Warren McCulloch. Le groupe, composé de mathématiciens, logiciens, anthropologues, psychologues et économistes s’étaient donné pour objectif d’édifier une science générale du fonctionnement de l’esprit. Aussi, ce projet ambitieux, utopique même pourrait-on dire a effectivement bouleversé la face du monde.

La cybernétique (devenue informatique), mais aussi l’écologie (éco-systémie à l’origine), les thérapies familiales mais aussi tout le courant des thérapies systémiques en sont issus directement. Par ailleurs, d’économie, la médecine, la pharmacie et d’autres champs ont été impactés positivement par cette logique cybernétique. En effet, son principe actif est un changement de paradigme concernant les relations de causalité. La causalité linéaire, déterministe (A entraine B), il faut substituer dans de nombreux phénomènes la causalité circulaire (A entraine B qui entraine A). L’un des points de départ (nous étions en pleine II° guerre mondiale) était l’automatisation du pointage d’un canon. On comprend aisément l’avantage d’un dispositif si le résultat malheureux d’un premier tir donnait lieu à un correctif automatique pour le suivant.

L’idée de rétroaction (ou feedback en anglais) était née. Les boucles de rétroaction modifient la manière de penser les processus. Elles produisent la régulation et permettent d’atteindre efficacement un objectif. Tous les systèmes vivants sont autorégulés ; mais ce ne sont pas les seuls. Les technologies autorégulées, depuis le fer à repasser jusqu’à la conduite autonome ont envahi nos vies.

Quelle application dans le champ de l’institution et notamment des ESMS

Les lois du 2 janvier 2002 dites 2002-2 ont introduit dans le champ des ESMS l’obligation d’évaluation interne et externe. Antérieurement, les institutions étaient un peu des zones de non-droit dans lesquelles la volonté du Prince menait à des abus, parfois régulé durement lorsque les médias publiaient des histoires de mœurs ou des dérives financières.

Cette logique évaluative ne s’est pas faite sans résistances. Il a fallu un temps considérable avant que le terrain ne plie à cet impératif. En effet, comme tout système vivant, la première préoccupation de l’institution est sa propre survie et une logique de simplification. Le social et le médicosocial, arcboutés sur l’argument que l’humain n’était pas comparable à un produit manufacturé refusait donc énergiquement de se laisser contrôler.

Dans le champ de l’entreprise, on avait compris depuis longtemps que le contrôle qualité était une contrainte bien utile pour améliorer le produit et maximiser les profits. La célèbre « roue de Deming[1] » PDCA (plan-do-check-act soit planifier exécuter, contrôler, agir) est un pur processus de rétroaction. Elle a été inventée en fait par W.A. Shewhart, dans les années 30. Il considère qu’un processus de contrôle de la qualité comporte trois étapes :

  1. La spécification de ce qui est demandé
  2. La production des objets demandés, et
  3. L’inspection des objets réalisés, afin de vérifier s’ils sont conformes à la spécification.

Des étapes intimement liées.

La spécification

Les institutions dites ESMS, publiques ou privées, reçoivent des fonds publics pour réaliser une mission. Celle-ci est définie par le I. de l’article L. 312-11 du « Code de l’action sociale et des familles » et déclinée dans un projet associatif pour le privé et un projet d’établissement obligatoire. Ceci constitue la spécification de ce qui est demandé. On pourrait espérer que des objectifs soient définis plus clairement, la tendance générale étant de s’attacher plutôt aux moyens, ce que j’ai maintes fois vérifié en tant qu’évaluateur externe expert.

La production

Le second point est constitué » par le fait que ces institutions produisent bien une activité de service. Les pouvoirs publics, par l’entremise de fonctionnaires ont la charge du contrôle du fonctionnement de ces établissements.

L’inspection

Le troisième point est l’objet de notre réflexion. Contrôle qualité, rétroaction, inspection, etc. Quelque soit le nom qu’on lui donne, répond bien un souci de feedback permettant de vérifier que les objectifs sont atteints et d’appliquer un correctif dans un souci d’amélioration continu de la qualité.

L’introduction de la double évaluation interne/externe répond bien à cette logique. L’évaluation interne oblige les établissements sous peine de non-renouvellement de leur habilitation (en faisant donc une question de vie ou de mort), à rendre compte de leurs efforts pour remplir leur mission et des process mis en place pour y parvenir ; l’évaluation externe vient vérifier ce contrôle et émet des préconisations afin de le rendre plus pertinent.

La rétroaction que constitue l’évaluation interne est nourrie de dispositifs de retours d’information depuis le terrain. Il en existe un certain nombre que nous pouvons énoncer de manière non limitative :

  • Les fiches d’incident constituent un élément de choix sur les dysfonctionnements ; pour qu’elles soient utiles, leur analyse est déterminante ;
  • Le conseil d’établissement ;
  • Les risques psychosociaux (RPS) consignés dans le document unique (DU) donnent des informations sur les arrêts maladie, les absences, le turn over et les conditions de vie au travail.

L’analyse de la pratique (APP) pourrait faire partie de ces dispositifs.

Elle devrait même y tenir une place de choix. Il faut reconnaitre qu’elle est, pour des raisons historiques, toujours considérée comme un sas hermétique où les salariés peuvent évacuer le stress lié à la pénibilité du travail et notamment du contre-transfert. Cette conception ferme la porte à une possible prise en compte de ses contenus pour une amélioration de la qualité de l’institution.

C’est pourtant là que sont « déposés » comme il est de tradition de dire, les difficultés qui ne sont pas (que) le fruit de l’équation personnelle des salariés mais aussi le fruit du fonctionnement institutionnel. Aussi, l’abord des questions de la violence par exemple est spectaculaire à ce sujet. L’implication des établissements dans la recherche de solutions institutionnelles sur les causes et non sur le traitement de cette violence (sanctions) est rarissime.

Je prêche depuis longtemps pour le dépassement de cette conception et l’idée que le recyclage de ces « déchets » est la logique écosystémique qui doit prévaloir.

A cette fin, 2 conditions s’imposent :

JEAN-PIERRE_ERNST

  • Des temps d’échange et de retour entre les cadres et le groupe et/ou l’animateur autant que de besoin.
  • Des précautions concernant ces retours pour sécuriser la libre expression.
    • Pas de « verbatim ».
    • Pas de noms ou de désignation de qui a dit quoi.

Tous ces dispositifs ne sont que des moyens. Ils n’ont d’intérêt que si leur analyse donne lieu à des améliorations qui elle-même doivent être communiquées, exécutées et contrôlées. Et la boucle (de rétroaction) est bouclée. Ou plutôt non, car elle tourne toujours (la roue de Deming) de l’amélioration de la qualité !

Jean Pierre ERNSTPsychologue consultant – En savoir plus…


[1] Deming l’a popularisé auprès d’industriels japonais


Image par Adrian de Pixabay

Institution, Dispositif, ESMS, Cybernétique, Rétroaction