Comprendre et analyser sa pratique en tant que Directeur en ESMS
A l’occasion de la re-parution du livre “Directeur en ESMS : comprendre et analyser sa pratique” de Bertrand Dubreuil, nous sommes allé à la rencontre de l’auteur afin d’en savoir un peu plus sur son ouvrage.
L’auteur évoque ci-dessous son livre, son expérience de travailleur social, la question de la responsabilité de directeur ainsi que la place du sociologue des organisations qu’il a occupé comme intervenant et formateur.
Quel a été votre itinéraire professionnel ?
De formation éducateur spécialisé, après avoir exercé cette fonction, j’ai pris une responsabilité de chef de service, puis celle de directeur d’établissement. En parallèle du travail social, j’ai entrepris un doctorat de sociologie sous la direction de Robert Castel *1. J’y ai étudié la sociologie du travail social, et celle des organisations du travail. J’ai travaillé dans une caisse d’allocations familiales comme responsable d’un service de recherche : étude de populations allocataires, politique de la ville, démotivation scolaire, parentalité. J’ai poursuivi mon chemin par la formation et le conseil, dans le cadre de Pluriel Formation Conseil fondé en 2003.
De ce parcours, que retenez-vous de marquant quant à la fonction de direction ?
La question du travail en équipe, le cadre du droit et la distinction pouvoir-autorité me semblent structurants de la place qu’occupe un dirigeant dans l’organisation de travail que constitue l’ESMS. L’ouvrage repose sur les enseignements tirés de situations d’analyse de la pratique, considérant l’intérêt de la parole des professionnels, leurs savoir-faire, tout autant que leur articulation avec les concepts en sciences humaines. Par ailleurs, le droit constitue le cadre symbolique nécessaire à l’élucidation des situations traitées. La loi n’a pas qu’une fonction organique ou procédurale. Elle donne un ensemble de repères, de liens, d’autorisations et de protections au travail social et à ses acteurs. L’autorité conférée aux membres de l’encadrement relève d’une autorisation (l’une et l’autre ont la même étymologie) délivrée par un niveau supérieur du cadre symbolique, à savoir les pouvoirs publics dont la légitimité repose sur le principe démocratique et les évolutions sociétales dot il est le vecteur. Il me semble que l’autorité introduit une distance aux affects liés aux enjeux de pouvoir de toute interaction entre les membres de l’organisation de travail.
Venons-en au livre “Directeur en ESMS : comprendre et analyser sa pratique ” et à sa réédition récente.
La première parution de l’ouvrage date de 2002 aux éditions Dunod. Il a ensuite été repris par les éditions ESF, et à cette occasion, remanié et actualisé. L’ouvrage s’appuie sur le travail d’un collectif de directeurs autour d’analyses de situation. De ces situations, nous avons tiré des enseignements en partant du principe que chaque situation est singulière et que donc les clés du problème rencontré sont dans la situation elle-même. Il s’agit d’en faire émerger la structure de sens, sans la réduire à une théorie du management, de la sociologie ou de la psychologie des profondeurs, supposée apporter une explication totale.
Plus précisément, comment procédez-vous ?
Analyser une situation, c’est tout d’abord en faire le récit dans ses différentes circonstances : la raconter et, en l’exposant, écouter les questions des pairs autour des contradictions, des complémentarités, des récurrences et des aspects insolites. On travaille ainsi la structure de la situation, c’est-à-dire ce qui s’y joue. Cela demande de se déplacer dans la situation, de varier les points de vue, de s’intéresser au sous-jacent, ou à ce qui resté dans l’ombre.
Les théories du management supposent souvent qu’il existe des réponses préétablies aux situations ou des schémas explicatifs indiquant les erreurs commises et les améliorations à apporter. Il en est de même des théories en sciences humaines lorsqu’elles sont employées de façon dogmatique comme apportant l’explication totale du problème rencontré. Au contraire, si on considère que chaque situation est spécifique, c’est l’articulation du savoir-faire des acteurs concernés et des concepts issus des sciences humaines qui permet de dénouer le blocage éprouvé par les protagonistes du problème, de remettre en mouvement la dynamique relationnelle et structurelle de leur interaction. Et, dans le cadre de l’analyse de la pratique , le groupe de pairs vient border la dimension émotionnelle du problème exposé, indiquer qu’il est partagé par d’autres et favoriser ainsi son dépassement par le raisonnement sur la structure de la situation qui agit ses acteurs tout autant qu’ils ne l’agissent.
Parler de la place de l’encadrant, est-ce aujourd’hui renvoyer les responsables aux concepts du management ?
Le management n’est pas une science. Nombre de ses écrits relèvent de l’idéologie, au mieux d’une réduction de la complexité des situations de travail. La compréhension des processus qui structurent le travail social relève des sciences humaines (le droit, la psychologie, la sociologie, la psychologie sociale)
Comment penser cette question de l’encadrant chef de service ou directeur ?
Je propose de l’aborder en ces termes : comme encadrant, à qui suis-je utile ? C’est la perspective de la pyramide inversée. En tant que cadre, je dois penser et organiser l’environnement favorable à l’action que mènent les professionnels auprès des usagers : comment répondre aux besoins des professionnels dont on m’attribue la responsabilité : besoin d’unité d’action, besoin d’équipe, besoin de continuité, besoin de responsabilité, etc. L’intérêt de l’analyse de la pratique, c’est qu’elle m’aide à appréhender ce qui se joue dans ma fonction d’encadrement, dans les interactions que je développe avec les uns et les autres. Je m’efforce à leur être « le mieux utile » parce que c’est ce qui contribuera à ce qu’ils soient de leur coté « le mieux utile » aux personnes qu’ils accompagnent ou, s’il s’agit des autres membres de l’encadrement, ce qui constituera pour eux une ressource dans l’action ou une aide à la décision.
Un article co-écrit avec l’auteur
Propos recueillis par Marc LASSEAUX
Psychologue et Intervenant en Analyse des Pratiques
- Marc LASSEAUX
- contact@psyetco.fr