Un atelier pour une clinique transdisciplinaire de l’intervention sociale et médico-sociale
Groupes de parole, supervision, étude des processus de travail, groupes Balint, échanges des pratiques : les démarches dites d’analyse des pratiques connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt et de mise en œuvre. D’où l’importance de proposer un atelier pour une clinique transdisciplinaire de l’intervention sociale et médico-sociale.
Trois raisons exponentielles de ce regain d’intérêt.
Les organismes de collecte-distribution des fonds de formation :
Ils refusent de moins en moins de financer ce genre de démarche. Même si depuis toujours nombre d’institutions y ont consacré d’autres lignes budgétaires pour mener à bien ce travail à leurs yeux capital.
Les directeurs et responsables d’institutions sociales et médico-sociales :
Partis à la retraite, ils s’installent comme superviseurs, coaches ou assimilés – en élargissant d’autant l’offre. Mais pas toujours la qualité des prestations, tant il est vrai que l’accumulation des expériences nécessite encore le recours à des conceptualisations et argumentations théoriquement solides.
Les conditions socio-économiques de l’intervention sociale et médico-sociale contemporaine :
cette troisième raison revêt un caractère déterminant. Elle concerne le fonctionnement mondialisé du système capitaliste sous emprise néolibérale. Ce fonctionnement constitue un environnement extérieur autant qu’une dimension interne aux services, aux équipes et aux relations avec les publics. Impossible de lui tourner le dos. C’est dans les pratiques quotidiennes que ce fonctionnement se fait présent, dans les méthodologies d’intervention, dans les modalités d’écoute et de suivi des populations et, last but not least, dans les résultats attendus. Ainsi, beaucoup d’évidences cessent d’en être.
Importance stratégique des démarches d’analyse des pratiques aujourd’hui
A propos des publics
Il apparait que les publics accueillis n’ont pas le monopole des difficultés, déconvenues, impasses. Certes, en principe ces problématiques diffèrent de celles des éducateurs, chefs de service, directeurs, psychologues. N’empêche que les intervenants sociaux en ont bien leur part : la thématique récurrente de la souffrance au travail en atteste. Ces praticiens sont confrontés au besoin – qu’on qualifiera d’impérieux – d’une mise en perspective de leur labeur, soit ce qu’ils peuvent ou pas ou plus faire, ce qu’on attend réellement d’eux, ce en quoi ils peuvent et sans doute doivent innover, dessiner des pistes inédites.
Les idéaux professionnels réclament, au minimum, un toilettage certain. A la fois protection, décharge, ressourcement, invention et trouvaille : c’est de la sorte que l’analyse des pratiques déploie son intelligence, sa pertinence, son utilité.
L’analyse des pratiques professionnelles est une condition de survie professionnelle
Cette tâche ne vient surtout pas en plus du travail quotidien, moins encore à sa place – mais en son cœur. Car il s’agit d’une condition de survie professionnelle ! Pas pour continuer à travailler – on peut se contenter de respecter les horaires, respecter les fiches de poste et réaliser un certain nombre d’entretiens – mais pour s’intéresser au travail effectué, pour prendre effectivement soin des gens dont on est censé s’occuper, pour améliorer ses interventions.
Vécus subjectifs des contraintes
Or, des tutelles administratives perçoivent parfois l’analyse des pratiques comme un luxe improductif tandis que des salariés y voient une nouvelle contrainte venant s’ajouter à celles qui pèsent déjà sur eux. Ces vécus subjectifs délaissent une donnée majeure. A savoir : l’analyse des pratiques cherche à identifier les enjeux obligatoirement complexes de situations qui sont, elles aussi, par définition toujours complexes. Cette démarche propose de clarifier les stratégies d’intervention effectivement mises en œuvre afin de dessiner des percées possibles, des rectifications raisonnées et raisonnables. C’est en termes d’ouverture qu’il convient de situer l’analyse des pratiques.
Richesse de l’appellation générique « analyse des pratiques »
Il n’en reste pas moins que l’appellation générique d’analyse des pratiques regroupe en fait de multiples variantes, sinon des postures radicalement différentes. C’est là la richesse de ce champ autant que l’origine des multiples équivoques et malentendus qui y règnent. La ligne de démarcation passe par la définition de ce qu’est et de ce que peut l’intervention sociale et médico-sociale, l’intervention psychologique ou autre.
Il est en effet courant qu’une bonne partie de ces postures placent le registre psychique et les disciplines qui en traitent (psychologie, psychanalyse, psychiatrie) au centre des interventions sociales, en manière de noyau dur. Notamment quand il s’agit d’enfants et de rapports parents-enfants, les composantes sociales, économiques et politiques, sans être systématiquement négligées, sont le plus souvent traitées en termes d’environnement périphérique qui facilite ou perturbe la manifestation de conflits fondamentalement psychiques.
Les analyses des pratiques : un malentendu
Là réside le gros malentendu des analyses (pluriel) des pratiques. Le registre psychique y a-t-il un statut de dimension incontournable dont on ne saurait faire fi sous peine d’escamoter un aspect significatif des problématiques des usagers et aussi, par ailleurs, des intervenants ? Ou bien s’agit-il d’une construction omni-explicative remontant à la supposée origine des problématiques individuelles et collectives ? Dimension parmi d’autres dimensions ou cause des causes ?
Si cette deuxième réponse l’emporte, on se trouve dans l’impossibilité de comprendre que l’intervention sociale et médico-sociale ne soigne pas, la cure ne faisant nullement partie de la formation ni surtout des pratiques des professionnels du secteur… Paradoxalement, cela renforce un certain préjugé quant à l’inutilité foncière de ces interventions.
La clinique transdisciplinaire de l’intervention sociale et médico-sociale
Dans la vaste panoplie des analyses des pratiques, nous privilégions la clinique transdisciplinaire de l’intervention sociale et médico-sociale. Celle-ci vise bien les pratiques et non les praticiens, l’accent étant mis sur ce qu’ils font ou pourraient faire bien plus que sur les intentions et les motivations personnelles. Il ne s’agit nullement d’une thérapie au rabais.
C’est un espace de production de pistes d’intervention et de mise en œuvre d’orientations – très précisément : un atelier. Même si la dimension psychique n’est, ne doit pas être délaissée, car les professionnels interviennent avec leur subjectivité, leurs craintes et leurs hardiesses. Mais pas seulement !
Sont également en jeu les options théoriques et idéologiques qui régissent leurs interventions, commandent leurs vues et leurs bévues, encadrent y compris à leur insu leur travail auprès des publics. Idem pour ces derniers : jamais leurs problématiques ne revêtent un caractère exclusivement psychique, aucune psychologie ne saurait en venir définitivement à bout. Les destinataires des interventions sont pris dans des histoires de vie qui ne sont pas des épisodes d’un journal intime : la dimension institutionnelle et politique ne saurait être négligée.
Propos discutables, sans doute. N’est-il pas, justement, ce qui peut aujourd’hui arriver de mieux ?
Saül KARSZ, Docteur en philosophie et en sociologie – Réseau Pratiques sociales
Crédit photo: Pxhere
- Saül KARSZ
- Saul.karsz@gmail.com