Analyse des Pratiques professionnelles et souffrance professionnelle
L’Analyse des Pratiques professionnelles face à la souffrance professionnelle engendré par les mutations sociétales
Mon intervention auprès de différents professionnels du secteur médico-social (Médecins, Infirmières, Assistantes Sociale, Conseillères en Économie Sociale, Educateurs Spécialisés, T.I.S.F, Secrétaires, Agents d’Accueil), m’a permit de noter des positionnements commun ainsi qu’un questionnement quasi unanime sur les modifications en profondeur du travail social. Le superviseur / Animateur de séance, se doit de prendre en compte les transformations que traverse le professionnel et qui remet en question la représentation de son travail. Plus que jamais, l’Analyse des pratiques professionnelles vient interroger l’éthique même du travail médico-social, celui-ci semble de plus en plus happé par un fonctionnement managérial et de rentabilisation de l’acte. L’APP est également le lieu où le professionnel peut déposer son sentiment « d’impuissance », notamment en ce qui concerne la place de la « souffrance psychique » et de « l’inter-culturalité », deux notions qui font parties du quotidien de sa pratique. Enfin, il me semble important de prendre en compte la position particulière au sein d’une équipe pluridisciplinaire des travailleurs « non » médico-sociaux. En effet, les agents d’accueil et les secrétaires souffrent généralement d’une forme de « dépréciation » et se plaignent souvent d’être en première ligne notamment en cas d’agressivité de l’usagé.
La difficulté face aux changements sociétaux :
Les professionnels du social présentent une difficulté à « signifier et représenter l’interdit fondateur, maintenir vive et structurante de la fonction de tiers, le poser comme principe régissant les relations humaines ». Ainsi, le travailleur social est confronté à des bénéficiaires ayant de plus en plus de mal face à l’autorité que représente l’Institution, ce qui génère une forme d’agressivité que le professionnel doit gérer dans sa quotidienneté. Le travailleur social a le sentiment dans le même temps, que son positionnement et sa fonction est mis à mal et plus respecté à leur juste valeur.
Des situations de plus en plus urgentes, des procédures de plus en plus oppressantes :
La précarisation de plus en plus de personnes, amène les travailleurs sociaux à accueillir des usagés en situation d’urgence sociale et ils ont de moins en moins de moyens. Les professionnels, disent souffrir d’un manque de temps qui permettrait la mise en place d’un lien d’accompagnement et d’une relation d’aide « digne » de leur fonction. L’éthique professionnelle est mise à mal dès lors qu’il faut imposer aux personnes auxquelles les professionnels s’adressent une logique de pensée qui leur sont étrangère et qu’ils doivent respecter au risque d’être hors la loi. Ce positionnement entraine le questionnement suivant pour les professionnels : « Comment répondre à la commande économique et à la demande des personnes suivies sans perdre son âme ? » Le ressenti est résumé comme suit : « Ce qui semblerait compter serait une rentabilité du travail social au détriment du bénéficiaire ». C’est ce que des travailleurs sociaux appellent notamment « placer les gens dans des cases » soit : une situation, un formulaire, et la réponse standard qui va avec.
La confrontation avec un public en souffrance psychique :
La notion de souffrance psychique, est rencontrée de nombreuses fois par le travailleur médico-social, dans la mesure où, elle est quasiment toujours associée à la notion de « souffrance sociale ». Les différents modes d’expression de la souffrance appellent un nouveau type de travail social davantage stratégique et personnalisé. Les situations auxquelles le professionnel est lui-même confronté bousculent ses propres certitudes. Les témoignages de vie qu’il reçoit l’interrogent et les réponses à y apporter ne vont plus de soi. Il en découle un fort questionnement là encore, notamment. Dans quelle mesure cette évolution n’est-elle pas pour les travailleurs sociaux eux-mêmes source de difficultés, vivant par ailleurs eux-mêmes les mêmes problématiques ? Certains travailleurs sociaux commencent à parler de la précarité (financière) de certains professionnels du social. De plus, ils se confrontent aux discours d’une hiérarchie qui leur dit : « Estimez-vous heureux de travaillez ».
Le travailleur social aux prises avec l’interculturel :
Le contexte de l’immigration a changé. Dans les quartiers où se concentrent les difficultés, il devient difficile de maintenir le lien social. Les facteurs qui permettaient de « faire société » à partir de la diversité locale tendent à disparaître. Il n’y a plus d’identité de classe susceptible de transcender les identités familiales et communautaires. Il n’y a plus de grande cause aux enjeux clairement perceptibles pour tous qui puisse fédérer les intérêts divergents. L’intervention des travailleurs sociaux missionnés par les pouvoirs publics est alors ressentie comme porteuse d’une finalité normative insupportable qui vise à imposer une paix sociale. Ceci selon les professionnels, fait augmenter les agressions contre les symboles de l’action publique, c’est-à-dire envers eux-même en tant que représentant de ce système.
Souffrance au travail des travailleurs sociaux et « risques psycho-sociaux » :
Les travailleurs sociaux se plaignent que les mutations de l’organisation sociale ne se fassent qu’à partir d’un seul schéma gestionnaire, inspiré du libéralisme économique, avec critères performatifs afférents, ce qui engendre certaines souffrances, ces souffrances ne pouvant selon eux que se répercuter sur les citoyens usagers. Dans tous les groupes est apparue la difficulté quotidienne à lutter contre une forme de formatage de la réponse à donner au bénéficiaire et à l’insérer coûte que coûte malgré sa souffrance. Il y a également un fort ressenti « d’être catalogué » comme un « mauvais professionnel », si l’on ne peut démontrer chiffres à l’appui la nature des économies réalisées. Cette rentabilité du social, met à mal l’action de prévention d’accompagnement et de soutien.
La place des « non travailleurs sociaux » :
La place des professionnels n’ayant pas de diplôme médico-social (agent d’accueil / secrétaire), bien que faisant partie à part entière de l’équipe, amène des problématiques nouvelles. En effet, n’étant pas sur une fonction connotée spécifiquement « travailleur social », ces professionnels ont parfois des difficultés à trouver la juste articulation avec le reste de l’équipe.
Positionnement de l’Intervenant :
Mes d’interventions auprès d’un panel de travailleurs sociaux, m’a permit de confirmer un positionnement s’axant sur la libération de la parole notamment en ce qui concerne une certaine souffrance professionnelle. Certains membres des groupes sont en quelques sortes rassurés (pour ne pas dire réconfortés) de voir que les difficultés rencontrées sont également partagées par le reste du groupe. Cette prise de conscience a eut un effet que l’on pourrait nommer de déculpabilisant, notamment face à des situations de grande précarité, ou bien souvent le professionnel « n’a pas ou peu de solution ». Malgré tout, le fait de pouvoir parler sans jugement à également permit a un grand nombre de pouvoir analyser positivement leur pratique, en questionnant le superviseur et le groupe, la plupart se sont rendus compte « que finalement et malgré les difficultés, ils ont prit le bon positionnement ».
Je reste donc convaincu, que les APP, doivent au regard de la spécificité actuelle du travail social, permettent aux professionnels de bénéficier d’un lieu neutre permettant grâce aux interactions groupales et avec le superviseur de mettre en avant « ses savoirs-êtres professionnels », tout en continuant à mettre un sens et une éthique à son travail.
Un article de Dominique SEJALON
Souffrance psychique, Risques psycho-sociaux, Travailleurs sociaux, Ethique