Analyse des Pratiques VS Régulation d’équipe
Rencontre avec Joanna LARRAMONA,
Une professionnelle de l’analyse des pratiques et de la régulation d’équipe
« J’interviens effectivement dans les champs de l’Analyse des pratiques et de la régulation d’équipe. Je suis titulaire initialement d’un Master en sociologie et en sciences sociales appliquées puis d’un parcours de fonctionnaire d’une dizaine d’années dans les services sociaux du Département. Parallèlement à ce travail, j’ai entrepris une formation certifiante de superviseur en analyse des pratiques professionnelles à l’Etsup[1] qui s’appuie principalement sur la sociologie des organisations, la psychosociologie, l’anthropologie clinique et la psychanalyse. Je me suis progressivement mise en disponibilité de la fonction publique, et depuis 4 à 5 années, j’anime des séances de groupes de parole, des séances d’analyse des pratiques et de régulation d’équipe.
J’interviens également lors dans des formations d’éducateurs spécialisés ainsi que pour des séances d’analyse de pratiques auprès de futurs assistants sociaux à l’IRTS de Talence. J’anime, en tant que référente, une formation à destination des psychologues sur l’animation de séances d’Analyse des pratiques pour le compte d’un cabinet Parisien.
Enfin, pour enrichir mes connaissances et mes compétences, je termine une formation de thérapeute familiale intégrant la dimension analytique. »
De l’évolution des demandes d’Analyse des pratiques et de Régulation d’équipe ?
« Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus de demandes en Analyse des pratiques professionnelles qu’en régulation d’équipe, et cela se vérifie quelque soit la nature des publics professionnels (éducateur, assistants sociaux, infirmiers mais aussi pour maitresse de maison, veilleurs de nuit, etc…) tout comme pour les types d’établissements (MECS, ITEP, SSIAD, Protection de l’Enfance, AEMO, FH, etc…).
Cette demande s’est accrue ces derniers temps. Il me semble que cela est dû à la modification progressive des conditions de travail. Dans les faits, les équipes sont prises en permanence dans le questionnement autour du « Comment ? ». La question récurrente est « Comment fait-on les choses ?», ce qui les focalise sur les procédures : ils en oublient alors le « Pourquoi », la question du sens !
L’analyse des pratiques leur permet de sortir de ce quotidien, de l’urgence, de revenir à la question du sens, le pourquoi ils font les choses ? Pourquoi s’occupent-ils de l’usager ? Quelle est leur mission ? Dès lors, cet espace devient essentiel pour les équipes et il est important qu’elles s’en saisissent.
Une illustration qui illustre bien l’injonction dans laquelle sont actuellement prises les équipes se manifeste fréquemment à travers les évocations autour du cahier de liaisons : Que doit-on écrire ? Qu’est-il interdit d’écrire ? Faut-il le dire et/ou l’écrire ? Quand le « Pourquoi » et/ou le « pour quoi » n’est pas clair, les membres de l’équipe de savent plus comment communiquer.
Il est étonnant de voir comme de jeunes travailleurs sociaux sortant de l’école ne prennent souvent plus le temps nécessaire pour rentrer en relation avec leurs collègues, ce temps d’affiliation indispensable à la qualité de la relation. Le temps d’accueil, celui du café collectif, ce rituel de partage, d’échange, de questionnements mutuels qu’ont connu les générations précédentes de travailleurs sociaux à tendance à céder la place à l’action immédiate dans de nombreuses institutions. »
les points communs entre analyse des pratiques et régulation d’équipe.
« Dans les deux types de demandes, il s’agit de mutualiser les compétences, les connaissances des différents acteurs, de réfléchir et d’élaborer ensemble. Ces temps, quand ils sont bien menés, sont source de renforcement de la cohésion d’équipe.
Indirectement, ces interventions contribuent à la prévention des risques psychosociaux, au développement du bien être au travail et à une meilleure connaissance des protagonistes entre eux ainsi qu’au développement de leur créativité.
Toutefois, il nous appartient en amont des séances d’accompagner la direction dans la clarification de la demande, la précision des objectifs visés et la nature de l’intervention souhaitée : Analyse des pratiques, régulation ou supervision d’équipe.
Il m’est arrivé de convenir avec une Direction qu’une demande initiale d’analyse des pratiques doive passer par une intervention préalable en régulation d’équipe pour revenir ensuite à de l’Analyse des pratique. La régulation aura permis d’évacuer les plaintes et de traiter les facteurs organisationnels pour faire, dans un second temps, la place à la prise en compte de l’usager. Je reste à l’écoute du moment où des membres de l’équipe vont commencer à parler de l’usager, cela veut dire que la place se libère pour celui-ci dans cette espace de réflexion commune.
La reformulation des objectifs et du cadre lors de la première séance avec l’équipe est essentielle. Cela prend du temps, ils posent des questions, j’explique ce que cela signifie pour moi, pourquoi nous sommes là et ce que nous allons faire ensemble, mais aussi quelle est leur demande. Bien sûr, d’autres intervenants s’y prendront autrement. Des ajustements sont possibles avec la direction et l’équipe avant que le groupe se mette en place ensuite je me tiens au cadre, à ce qui a été fixé.
Pour ma part, je travaille avec des groupes de 8 à 12 personnes pour un minimum de 8 à 10 séances renouvelables. Il faut cependant aussi savoir passer la main après plusieurs sessions à un autre intervenant, au bout d’un moment, pour ne pas laisser la routine et certains mouvements de s’installer. »
Les différences majeures entre Analyse des pratiques et régulation d’équipe
« En analyse des pratiques, l’objet du travail concerne l’usager, ses problématiques et la relation à celui-ci.
Le processus de travail que je mets en œuvre en Analyse de la Pratique se réalise en 3 phases :
Une première phase de présentation d’une situation en lien avec l’usager par un participant, une évocation de son ressenti dans la situation proposée ainsi que ce en quoi cette situation l’interpelle.
Une deuxième phrase concerne le temps d’élaboration collective dans un cadre bienveillant, confidentiel et de non-jugement où chacun peut s’exprimer librement, apporter ses idées, associer. Dans cette phase, les équipes peuvent émettre des hypothèses, sachant que c’est à eux d’aviser s’il y a lieu d’aller plus loin ensuite. Il est à noter que les cadres ne sont pas présents aux séances afin de favoriser la prise de parole des uns et des autres. On y retrouvera par contre des personnes telles que des coordinateurs avec des liens fonctionnels et non hiérarchiques.
De mon côté, je vais favoriser le « pouvoir d’agir »[2], de porter une demande, d’être acteur, afin de développer l’autonomie et la créativité de l’équipe.
Il est aussi important pour moi que les équipes abordent les situations positives, où les choses se passent bien et réfléchissement à comment cela est arrivé, en quoi elles ont pu y contribuer.
Enfin, la plupart du temps, une troisième partie est proposée dans laquelle j’apporte des éléments théoriques sur un point ou un autre et notamment sur les thèmes qui reviennent régulièrement. Ce peut être, par exemple, celui de l’hygiène corporelle et son aspect psychologique comme sociologique, la question de la clinique en travail social, des rituels et de l’espace transitionnel, ou encore celui du Portage ou Holding[3] « Pour bien porter/accompagner un usager, le professionnel à son tour doit être porté par le cadre, par l’institution. »
Reste à évoquer la question récurrente de la part des directions, celle du bilan et de la restitution. Cette demande bien que compréhensible vient rencontrer la nécessité de la confidentialité de ce qui se dit au sein du groupe. La solution est bien souvent de réaliser un premier bilan avec l’équipe à la dernière séance afin de préparer avec eux ce qu’ils souhaitent restituer à la direction invitée à la deuxième partie du bilan. L’intervenant peut alors soutenir les membres de l’équipe dans l’expression de leurs propos voire de leurs demandes. Ces bilans sont aussi l’occasion pour l’équipe de formuler d’éventuel souhait de poursuite des séances. »
Du travail de régulation d’équipe
« La régulation arrive généralement dans un moment de crise avérée. L’intervenant à une fonction importante de tiers. Le cadre bienveillant, confidentiel et sans jugement où chacun peu s’exprimer est aussi important qu’en analyse des pratiques. Il va s’agir de distribuer la parole et garantir la bienveillance mutuelle entre les acteurs.
Pour la régulation d’équipe, l’objet du travail est différent. Nous allons travailler plus sur les fonctionnements de l’équipe, les relations entre les collèges professionnels, l’organisation du travail, l’accompagnement au changement ainsi que la communication entre les membres.
Nous pouvons aborder la question des fonctions, des postes et des représentations : « qui fait quoi ?»…. L’accompagnement au changement « Nous avons mis quelque chose en place et cela ne fonctionne pas », ou tout simplement un constat de l’équipe : « On ne mange plus ensemble »… Il s’agit souvent de mettre à jour pour l’équipe ce qui pose problème entre le travail réel, le prescrit et le réalisé.
Par ailleurs, j’évoquais précédemment la question du « portage », du soutien des professionnels au contact des usagers. La régulation d’équipe est l’espace où ce besoin de soutien peut s’exprimer en présence des cadres. Il en va souvent sur cette thématique de la formation des cadres qui ont besoin d’apprécier et d’assurer ce besoin de soutien des membres de leur équipe.
J’invite les participants à ce que ce temps de régulation soit utile pour eux car c’est eux qui connaissent le mieux leur travail. Que peuvent-ils faire ensemble et/ou individuellement de leur place pour que cela change ? La régulation d’équipe va concerner tout un service : les cadres, les éducateurs, les assistantes sociales, psychologues, secrétaires. Contrairement à l’analyse des pratiques, dans cet espace, des décisions peuvent être prises.
A propos des méthodes et outils
« Je dispose de plusieurs outils d’animation ou de valorisation des membres de l’équipe : jeux de rôles, jeux de carte…
J’utilise beaucoup le photolangage dans tous les groupes tant en analyse des pratiques qu’en régulation d’équipe car j’ai un retour très positif des professionnels concernant cet outil à la fois ludique et engageant. Nous travaillons à partir de photos sur le monde du travail. Chacun peut choisir 2 à 3 photos qui reflètent aujourd’hui son travail. Ce qui est intéressant, c’est que les collègues se découvrent entre eux, se questionnent mutuellement sur leurs représentations respectives.
Pour terminer, ce travail est passionnant mais prenant à la fois car nous sommes souvent à l’interface de problématiques institutionnelles lourdes ou de situations d’accompagnement d’usagers compliquées.
C’est pourquoi, face à la complexité des situations, aux multiplicités des problématiques et aux réactions affectives diverses, j’ai besoin moi-même d’une supervision professionnelle individuelle. Je prends donc le temps mensuellement depuis 4 années de faire ce travail de réflexion avec un superviseur afin de questionner mes pratiques et prendre la distance nécessaire, essentielle dans ce type d’accompagnements.»
Ecrit par : Joanna LARRAMONA
Contact: 06 68 88 16 69 | Contact par mail
Supervisions & Régulation d’équipe | Analyse des Pratiques
[1] ETSUP : L’école supérieure de travail social à Paris
[2] L’empowerment au le DPA (Développent de pouvoir d’Agir), concept québécois d’accompagnement individuel et collectif
[3] Concept psychanalytique introduit par Donald Winnicott, psychanalyste anglais proche de Mélanie Klein
Faisons un Rêve: Claude ALLIONE – Intervention au congrès du Journal des Psychologues, Avignon, Novembre 2006
Voir aussi Claude Allione, La part du rêve dans l’institution, La Versanne, Encre Marine, 2005
Travailleurs sociaux, itep, Compétences, MECS, Régulation d’équipe, AEMO, Sciences sociales appliquées, Sociologie des organisations, SSIAD