Analyse des Pratiques Professionnelles et les échos systémiques.
Intervenante en supervision des pratiques professionnelles dans l’Est de la France, cet article a pour finalité de mettre en conscience que les différents niveaux d’intervention et d’actions dans un service, une structure qu’elle soit sociale, médicosociale ou sanitaire sont interreliés. Cela va de la manière de diriger la structure aux actions très concrètes posées auprès du public accueilli. Il est de mon rôle en qualité d’intervenante en Analyse des Pratiques Professionnelles d’aider les professionnels à voir ces interactions ou échos systémiques ainsi, cette mise en conscience permet de se positionner différemment. Il est également fondamental pour moi que l’intervenant se situe lui-même et par rapport à lui-même dans cet alignement.
Restructuration d’une structure médico-sociale : quelques effets !
Cette idée d’article est partie d’une séance d’APP dans une structure accueillant des jeunes ayant eu un début dans la vie difficile et de placement en institutions ou familles d’accueil. Nous avons depuis peu commencé à travailler ensemble.
Cette structure est en remaniement interne : changements managériaux et de fonctionnement. Un certain nombre de modifications sont déjà intervenues et d’autres vont se mettre en place petit à petit. Ces professionnels ont bénéficié auparavant de séances d’APP, mais je démarre en qualité de nouvelle intervenante avec eux.
Il est à préciser que ces professionnels ont dû pendant un certain temps se « débrouiller » par eux-mêmes et compter principalement sur eux-mêmes.
Je vais seulement mentionner dans cet article les points qui sont en lien direct avec le sujet.
J’observe les aspects suivants au cours de la première séance :
- Les professionnels expriment que ce n’est pas spécialement leur désir de venir en séances d’APP, qu’ils ont beaucoup de travail par ailleurs
- Ils ont peu d’attentes de ces séances, certains disent lors de la première rencontre : « je vais voir »
- Je ressens du stress présent, certains bougent beaucoup sur leur chaise, une difficulté à se centrer
- Ils tiennent pas mal de propos de contestation vis-à-vis de la direction actuelle et se disent incompris, non reconnus, non pris en compte
- La disponibilité étant peu présente pour certains, il me faut mobiliser une énergie importante pour poser ensemble le cadre de ces séances, pour se mettre d’accord sur ce qu’est un processus d’APP et ce que ce n’est pas, sur ma posture, pour expliquer certaines notions en lien avec l’APP qui ne sont pas intégrées. En effet, certains s’étonnent presque que les séances d’APP vont être centrées sur les situations d’accompagnement des jeunes et non sur leurs insatisfactions ou récriminations en qualité de professionnels.
Puis, au cours des séances suivantes, je note et je fais des hypothèses :
- L’autre et le changement sont menaçants et par conséquent un phénomène de résistances est très marqué
- Un repli sur soi et par là même un renfermement sur des schémas mentaux et croyances que ce que l’on fait est le mieux, est bien ainsi et par conséquent une ouverture, une capacité de remise en question et un recul réflexif assez faibles
- Une énergie mise à se protéger et par conséquent une grande difficulté à se mettre en responsabilité. Pour l’instant, l’autre est responsable et donc le coupable. On ne va pas dire ni demander car ce serait se mettre en responsabilité
- Une centration sur l’opérationnel, le faire exclusivement et par conséquent une difficulté à avoir une vision plus globale et à faire du lien avec le sens et valeurs de la structure d’une part et de leur mission d’autre part.
- Des émotions retenues (colère notamment) et par conséquent, ça ne peut être fluide en soi ni à l’extérieur
- Une vision séparatrice et une impossibilité pour l’instant à voir les liens et interrelations entre leurs manières d’être et de faire en tant que professionnels et les jeunes accueillis, leurs propres problématiques et besoins d’accompagnement
Et en même temps, ces professionnels ont des ressources :
- Une volonté d’aider ces jeunes
- Une sensibilité aux vécus et à ces jeunes en tant que personnes
- Un dynamisme
- Une cohésion d’équipe
Une supervision et ses objectifs : prendre conscience des échos systémiques
Comment aider ces professionnels à s’ouvrir et à voir :
- Les interrelations entre ce qu’ils ressentent, pensent, croient et l’impact sur des jeunes déjà eux-mêmes très fragilisés ?
- Que leurs propres états internes ont un lien direct sur les jeunes accueillis ?
- Que leur propre confiance en eux, leurs capacités à accueillir leurs émotions, leurs capacités de résilience, à s’exprimer, à se mettre en responsabilité sont et seront porteurs de changements pour les jeunes qui ont eux-mêmes à développer cela ?
- Que leur capacité à prendre du recul et à se centrer va permettre à ces jeunes également d’élaborer par rapport à leur histoire et se recentrer sur eux-mêmes ?
- Qu’une vision séparative de leur part a un impact sur des jeunes ayant une histoire faite de séparations, d’exclusions, d’abandon ? Qu’une vision intégrative est à privilégier afin que les jeunes réintègrent les « morceaux » de leur histoire et puissent cheminer vers l’accueil et l’acceptation de celle-ci ?
Le défi est grand, alors comment accompagner pour que les professionnels consentent à prendre conscience de ces dimensions fondamentales et à se changer eux-mêmes ?
Comment leur permettre de prendre conscience et s’appuyer sur les inévitables échos (ou reflets) systémiques ou processus parallèles (en Analyse Transactionnelle) afin de professionnaliser et impacter positivement leurs accompagnements ?
De la posture du Superviseur : Incarner et modéliser les inter relations
« La manière la plus efficace de superviser consiste à modéliser le processus souhaitable » Clarkson (1992).
L’écho (ou reflet) systémique ou processus parallèle consiste dans le fait que ce qui se joue au sein du système intervenant APP/ Professionnels participants peut (a des grandes chances de) se retrouver au sein du système professionnels/ usagers.
Mon choix de positionnement est toujours le même lors d’une intervention mais je vais y être encore plus attentive avec ces professionnels : Incarner et modéliser.
Cela consiste en une attention à :
- Un cadre clair posé au départ et tenu.
- Mon vécu interne comme à mon environnement: c’est l’awareness que l’on nomme en Gestalt. L’awareness vise à percevoir la totalité des émotions, sensations, idées qui émergent en soi. Cet awareness me renseigne et m’aide à trouver le meilleur ajustement entre mes besoins et les possibles que m’offrent les circonstances. Ainsi, je peux exprimer ce qui se passe en moi et les processus que j’observe chez eux durant la rencontre, afin que les professionnels se l’autorisent aussi et le fassent de la même manière avec les jeunes.
- Une attention au processus plus qu’au contenu exprimé : il s’agit de prendre de la hauteur pour observer les relations entre les éléments sans s’attarder sur les éléments eux-mêmes.
- Reconnaître et accueillir la souffrance qui est là chez ces professionnels (même s’ils n’en ont pas conscience). Cela veut dire concrètement en séances, ne pas juste discuter d’une situation clinique mais prendre soin des personnes et, à travers eux des usagers accompagnés.
- Prendre mes responsabilités en nommant ce qui m’interpelle et me surprend d’une part et en questionnant d’autre part sur les liens. C’est me positionner dans un « je » authentique.
- Ramener sans cesse ce qui est évoqué aux situations particulières des jeunes et à leurs besoins
- Exprimer lorsque je ne sais pas, mes doutes, mes confusions afin qu’eux-mêmes s’ouvrent aux leurs et que cela n’est pas dangereux. S’ouvrir au fait que l’on peut être professionnel et vivre des doutes, des impasses, des interrogations et c’est là que se situe justement le professionnalisme. Le danger est plutôt quand le professionnel sait ! La limite est vite franchie de savoir pour l’autre et de penser à sa place, projeter !
- Accueillir et accepter mes limites dans ce processus d’accompagnement. Ainsi, une vigilance à me placer dans un rôle d’accompagnant et non de sauveur, afin qu’eux-mêmes se situent également dans cette posture. Avoir à l’esprit que je fais du mieux que je peux.
- Reconnaître et féliciter ces professionnels le plus souvent possible. Ainsi, on renforce leurs ressources, ce qui donne confiance pour continuer. Des jeunes « abimés » n’ont-ils pas eux-mêmes besoin que l’on aille chercher leurs ressources afin qu’ils s’appuient dessus et gagnent pas à pas en amour pour eux-mêmes ?
- Me préparer avant les séances pour être centrées, dans une qualité d’écoute. Cela est d’autant plus important qu’il y a énormément d’aspects à travailler avec ces professionnels.
Me centrer c’est également occuper pleinement et rester à ma place d’accompagnante : afin de cultiver le recul et se situer dans l’interdépendance. Ainsi, ils peuvent eux-mêmes voir toute la richesse de l’interdépendance, voir leurs possibles et limites. Ces aspects sont essentiels pour les jeunes afin de retrouver une confiance dans l’adulte.
Cultiver et installer la confiance en eux, afin qu’eux-mêmes l’installent auprès des jeunes.
- Faire un partage d’expériences à certains moments pertinents afin d’éveiller des prises de conscience.
- A la séance qui suit, faire une synthèse de ce qui a été abordé précédemment et demander comment cela a cheminé pour eux. C’est mettre de la continuité, très important vis-à-vis d’un public dont ils s’occupent qui a vécu de la discontinuité.
- Et peut être encore autre chose …
Tout cela est pour se mettre en acte – agir en responsabilité – en lieu et place de passages à l’acte, tout ce dans quoi se placent ces jeunes la plupart du temps.
Au bout de plusieurs séances, au moins un cycle d’une année, il sera très intéressant d’observer l’impact de cette posture sur les comportements des professionnels en séances.
Les échos systémiques et l’awareness : quelques explications
L’awareness est une attitude, une posture la plus importante de mon point de vue pour voir et nous renseigner sur les échos systémiques présents et ainsi être source de transformation pour les personnes accompagnées.
L’awareness est une notion Gestaltiste : c’est la façon avec laquelle le self est présent à la frontière-contact. C’est une expérience au niveau corporel, émotionnel, une expérience relationnelle et spirituelle. L’awareness est la connaissance ou la conscience implicite et immédiate du champ (Jean Marie Robine), la présence attentive, la présence au champ, présence en acte, engagée, immédiate.
C’est une attention à sa sensibilité et c’est répondre aux questions suivantes :
- Qu’est-ce que je ressens ?
- Qu’est-ce que cette équipe me fait vivre à l’intérieur de moi ?
- Qu’est-ce que je me sens tentée de faire ?
- Qui je peux représenter pour eux ?
A l’écoute des résonances en soi en qualité d’intervenante, on peut alors partager les échos systémiques. Ils supposent que tout est en inter relation avec tout :
- Ce qui se joue Ici et Maintenant se joue aussi ailleurs simultanément sous une autre forme et cela même est source de renseignements précieux pour ces professionnels
- Résoudre quelque chose à un endroit du système a des répercussions sur tout le système. (Échos systémiques en retour).
Les échos systémiques sont un indicateur et un levier puissants.
Les professionnels impactent l’intervenant qui a ressenti des résonances et quand l’intervenant s’aligne, il intègre ces résonances et renvoie donc à son tour aux professionnels, ce qui peut impacter à leur tour les professionnels, qui ensuite peuvent impacter leur environnement.
Les échos systémiques c’est comme un jeu de capter-renvoyer (miroir) qui crée de la valeur pour les participants car ce « jeu » permet des prises de conscience. Les professionnels peuvent conscientiser la relation qu’ils entretiennent et comment ils s’enferment dans leur cadre de référence (et donc le problème), alors un chemin nouveau peut se faire pour eux et par eux.
L’instant présent est un « échantillon » du tout et la relation intervenant- professionnels durant la séance APP est un levier important pour agir sur le système des professionnels, en prenant appui sur les échos systémiques actifs durant la séance.
J’exprime toute ma gratitude à ces professionnels qui me permettent ainsi de grandir, d’apprendre et de renforcer ma conviction : c’est le positionnement intérieur qui fait la différence et qui transforme. Il ne s’agit pas tant de convaincre, qui est une grosse énergie dépensée pour peu de résultats ! Il s’agit d’être et d’incarner. « L’essentiel » du professionnel de l’accompagnement se situe à cet endroit à mon sens. Naturellement et patiemment, des connexions peuvent se faire chez les professionnels au grand bénéfice des personnes qu’ils accompagnent.
En savoir plus sur Mireille ALLEE, Intervenante en Analyse des Pratiques
Image par jacqueline macou de Pixabay
- Mireille Allée
- allee.mireille@gmail.com
supervision, Analyse des pratiques, Systémie, Posture professionnelle