Analyse des pratiques et Supervision : Un espace de lecture de la Complexité !
Illustration par un cas concret : Du “lien” à la “loi”
Un résident “difficile”
M. P s’installe en EHPAD suite à l’amputation de ses deux jambes dans le cadre d’une artérite. L’équipe soignante se plaint de la difficulté de la prise en charge. L’impossible ajustement entre une demande considérée comme excessive, tyrannique, et une offre adaptée aux besoins tout en respectant les contraintes du réel crée un climat de violence. Rapidement, l’équipe se divise en « bons » soignants (qui se soumettent passivement à la demande du résident) et en « mauvais » soignants (qui refusent de céder à la moindre demande). Dans le discours des soignants, la personne à soigner est tantôt considéré comme victime, tantôt comme à l’origine du malaise grandissant dans le service.
Analyse de la situation et projet de soin
L’équipe, inscrite dans la politique « démarche qualité », se réunit pour faire la « synthèse » concernant ce patient. Le lien est établi entre son comportement agressif et la difficulté d’accepter son handicap et l’intégration dans l’établissement. Les comportements tyranniques jugés inadaptés, débordent en durée le temps acceptable d’intégration. La psychologue du service parle d’une fragilité narcissique et d’une structuration de la personnalité dans un milieu plutôt carentiel. Quelques éléments biographiques permettent de situer son mode relationnel dans la continuité d’un être au monde basé sur un modèle « misogyne ». Pour pacifier la relation soigné/soignant, il est décidé de proposer un cadre strict concernant les interactions avec les soignants : organisation précise des soins pour établir des limites « acceptables » à la demande du résident. L’hypothèse est faite d’un effet sécurisant de la régularité qui rendrait caduque les comportements tyranniques. La rigueur de l’organisation, établie bien entendu en prenant en compte les habitudes de vie du résident, impliquera de refuser les soins « hors cadre ». L’équipe dans sa totalité semble adhérer à ce projet de soin. L’effet apaisant recherché ne s’instaure pas. Le cadre établi en réunion d’équipe ne permet pas l’amélioration des relations. Aussi bien soignants que soigné formulent des plaintes auprès de l’encadrement. L’application «molle» des règles est pointée : comment juger de la pertinence de la démarche si personne ne suit la prescription ? Le cadre de la prise en charge est rappelé lors des transmissions.
Analyser les pratiques : observer pour comprendre
Dans mon rôle d’observateur/intervenant, j’accompagne une jeune femme qui, sous l’œil du tiers, doit appliquer la règle: rappeler l’heure de la mise au lit pour la sieste, associé au change 30 minutes plus tard. En tant qu’observateur, je n’ai pas participé à la décision collégiale. Sans partie prise ni pour le résident, ni pour la soignante, je me sens mal à l’aise. Soucieuse de poser un regard bienveillant sur la situation dans sa totalité, il m’est impossible de dire lequel des partenaires de la situation a pu alimenter ce malaise. Le discours professionnel est socialement acceptable, le résident s’adapte, se soumet à la règle. Et pourtant, la situation laisse derrière elle deux personnes « perdantes ». Le même jour, en soirée, j’observe une autre soignante interagir avec le même résident. Elle applique la même règle : fermeté concernant l’offre de soin qui définit les limites entre le possible et l’impossible. L’observateur se sent à l’aise. Une même règle, deux effets différents. Interrogée après le soin sur leur confort interne, la première soignante dit de se sentir « stressée, pas à sa place » ; l’autre dit « se sentir à l’aise, de ne jamais avoir eu de problèmes avec ce Monsieur ». A la question « Qu’est-ce qu’aurait pu rendre la situation de soin moins stressante? », la jeune soignante se livre avec véhémence : « J’aurais accédé à sa demande. Je trouve qu’il y en a qui exagèrent avec lui. C’est juste pour montrer qu’ils ont du pouvoir… »
Mobiliser du savoir professionnel: limite des méthodes et outils de compréhension
Intervenant extérieur, ma présence en tant qu’observateur dans ce service devait permettre dans un premier temps d’améliorer la qualité de soin via une formation continue « cousue main », adaptée aux besoins de formation des soignants. Quelle formation proposer, quel savoir partager pour réduire la tension suscitée par ce résident ? L’analyse fine des interactions nous permettrait de définir concrètement les moments clés ayant alimenté le malaise de la situation. Les grandes écoles de la communication des années 80 ont développé un matériel pédagogique impressionnant : Analyse transactionnelle, PNL, Watzlawick… Nous trouverions aisément les transactions croisées, l’absence de congruence, les défauts d’accordage, les barrages à la communication …. Comprendre le comment, est-ce suffisant pour transformer la situation? Mon travail avec les professionnels du soin m’a amené de m’intéresser non seulement aux techniques de la communication, mais de m’interroger de plus en plus sur la qualité de la relation qui s’instaure entre soignant et soigné. Nous devons considérer non seulement les déterminants énergétiques (la communication), mais considérer également les déterminants structurants de la situation de soin.
Comprendre la particularité de la relation soignant/soigné
Un déterminant essentiel de la relation de soin à la personne âgée vulnérable est son asymétrie : le soignant peut se passer de la personne âgée, mais la personne âgée ne peut se passer du soignant. En ce sens, la posture du soignant est une posture de « pouvoir ». La soignante mal à l’aise avec l’application de l’organisation du soin énonce clairement : selon elle, il ne serait pas tant question du résident que du désir de normaliser les comportements « au bon vouloir du professionnel », sous entendu : sans considération du besoin de la personne à soigner. Pour cette soignante, les conflits concernant ce résident s’inscrivent dans le champ de l’abus de pouvoir. Elle est sensible à l’aspect humiliant du contrôle exercé sur la vie de cet homme qui, privé de l’autonomie physique, perd le contrôle psychique de sa vie par le refus « systématique » (terme employé par la professionnelle) à ses demandes.
L’approche type « supervision » : convoquer la subjectivité du soignant
La relation d’aide proposée à cette soignante en regard du malaise ressenti dégage rapidement les liens avec son histoire. Pouvoir dire la fragilité narcissique de son père ayant souffert, selon l’interprétation qu’elle fait de la situation familiale, de la position dominante de sa femme, l’aide à retrouver un peu de sérénité. Elle peut alors porter un regard plus nuancé sur la décision collégiale. Le refus « systématique » se transforme en « refus du trop », refus d’une demande excessive, tyrannique. La collusion de cette situation avec son histoire personnelle avait ajouté une charge émotionnelle qui activait en mode quasi réflexe une théorie de l’esprit infantile concernant le rapport homme/femme. Nous constatons la proximité du modèle parentale avec le modèle qui semble structurer le rapport au monde de Monsieur P. : celui d’un modèle relationnel structuré sur un rapport dominant/dominé. L’équipe endossait le rôle de la mère abusive. La soignante s’était donc passivement soumis à la règle comme l’enfant se soumet à l’autorité parentale sans toujours comprendre le sens des règles imposés par eux. Une telle posture est bien entendu contradictoire avec la fonction professionnelle qui suppose une attitude adulte et responsable. Si l’éclaircissement individuel me renseigne sur le malaise ressenti lors de la situation de soin observée, il ne me renseigne pas sur l’échec de l’équipe dans sa totalité de porter à bien le projet de soin. Considérant l’importance du collectif pour l’élaboration de la pensée professionnelle, de l’établissement d’un projet de soin, je propose à la jeune professionnelle de verbaliser cette crainte d’abus de pouvoir au moment des réunions d’équipe. Ne s’agit-il pas d’un thème central dans le soin donné à une personne en position de vulnérabilité ? En a-t-elle parlé lors de la réunion ? Parler en réunion ? Cela ne sert à rien, dit la jeune femme.
La cohésion d’équipe et développement des compétences
L’observation des réunions de travail confirme le dire de la jeune professionnelle. Certains signes permettent le diagnostic d’un groupe de travail … qui ne travaille pas vraiment: La prise de parole est monopolisée par deux, trois soignants. L’émergence de la parole des membres récemment arrivés de l’équipe est rapidement étouffé par un rappel normatif « on ne fait pas comme ça ». Les énoncés sont descriptifs, déposés isolément dans l’espace. Les têtes sont dirigées vers celui qui tient le rôle d’animateur quand celui-ci est présent. En absence d’un animateur désigné, les transmissions prennent forme d’un chapelet d’anecdotes et dérivent rapidement vers des préoccupations plutôt récréatives ou conviviales. Les réunions dites « de synthèse » sont mieux structurées par la présence du psychologue et du cadre de proximité, deux figures « d’autorité ». Elles veillent à l’expression de tous, débutent une analyse possible par l’apport de nouvelles connaissances concernant le résident. Une tentative de synthèse et des propositions d’actions voient le jour. La responsabilité de cette décision incombe totalement au cadre qui s’appuie sur la compétence du psychologue pour valider son projet. La question « on va faire comme ça ? » reçoit une sorte d’haussement d’épaule. Puisqu’il faut faire quelque chose…. Les représentants de l’autorité quittent la réunion avec l’impression d’avoir ramé, d’y avoir laissé toute leur énergie. L’observateur sent l’épaisseur de non dits qui piaffent d’impatience d’être dit dans les interstices (au vestiaire, sous cape) qui vont saper, dans un travail souterrain inaccessible au contrôle de l’autorité, la mise en place d’une action professionnelle pertinente.
«L’impuissance » : un fantasme au pouvoir
Dans le cadre de mon intervention, un temps collectif appelé « restitution » permet un travail avec quelques membres de l’équipe. Faisant part de mes observations, je propose un débat concernant la notion d’abus de pouvoir. L’équipe se défend : la question du pouvoir s’avère tabou. On fait ce qu’on nous dit de faire, on n’a aucun pouvoir. Et de toute façon, avec ce Monsieur, même la surveillante ne sait plus quoi faire…. Pendant l’espace limité du temps d’échange, l’observateur/formateur sent se dresser une forteresse imprenable dans laquelle des individus du type de Monsieur P. étaient uniquement toléré parce qu’ici, l’encadrement était trop faible pour refuser son admission. L’équipe manifeste son sentiment d’impuissance dans un univers contrôlé par des forces obscures. Aucun pouvoir ? Pourtant, toute au long de la journée, elles font ce qu’elles peuvent. Faut-il rappeler la parenté entre le verbe et le nom ? Nous avons tous un « pouvoir », une influence sur l’environnement. Notre tendance naturelle nous pousse à augmenter ce pouvoir, cette capacité d’influer sur l’environnement. C’est à partir de cette tendance naturelle que nous développons notre compétence professionnelle. Comment développer un pouvoir si on ne peut le nommer ? Ou sont les limites de notre pouvoir ? La demande tyrannique de Monsieur P. interroge la capacité de réponse limitée des soignants. Il met probablement à mal la représentation d’une bonne soignante qui se doit de répondre à tous les besoins, à tous les appels. L’écoute psychanalytique entend le bruissement de figures parentales archaïques mal intégrées, rappelant à chacun de nous une période de vie quand, dans l’impuissance liée à la néoténie du petit humain, nous faisions progressivement l’apprentissage de notre capacité d’endurer les frustrations inhérentes à la vie. Nous connaissons la réponse du bébé : l’agrippement psychique qui dure le temps qu’il faut pour développer ses propres compétences à faire ce qu’il faut faire pour maintenir la vie. De la même façon, on peut imaginer, dans les débuts d’un exercice professionnel, l’agrippement à la représentation d’un modèle professionnel idéalisé. Comme pour le bébé, le processus de dégagement, de construction d’une identité professionnelle propre, indépendante, se fait à travers l’expérience d’un réel qui n’est jamais totalement exempt de frustration.
Alliances inconscientes : maintenir des systèmes défensifs
Progressivement, je comprends pourquoi l’intégration de ce Monsieur est impossible. Il rappelle certaines configurations familiales qui fonctionnent autour d’un membre désigné « pathologique » qui doit rester malade pour que le reste de la famille puisse aller bien. Monsieur P. devient symptôme d’une équipe en souffrance. Qu’est-ce qu’une équipe en souffrance ? Une équipe est constituée comme tout groupe humain d’individus qui cherchent à satisfaire un certain nombre de besoins à travers leur activité : non seulement d’assurer leur existence économique, mais aussi de grandir et d’évoluer, à augmenter leurs compétences. Cette évolution est possible sous l’influence de ce qu’on a pu appeler « la fonction d’autorité » dans les groupes humains. Dans l’organisation de nos équipes de travail, le « chef » est porteur de cette autorité. De façon statuaire, il est garant de la loi et porte la responsabilité de la « production » de son équipe. Il exerce son contrôle sur les entrées (recrutement des professionnels) et les sorties (licenciement) du personnel. Par ce biais, le « garant » de l’autorité dans les groupes de travail exerce simultanément un pouvoir non négligeable sur la composition du groupe. L’importance donnée à la figure d’autorité d’une équipe, traditionnellement le « chef », occulte une question bien plus importante : « qu’est-ce qui fait autorité dans ce groupe » ? Quel est le principe de base servant à structurer l’interaction des professionnels, ordonner la relation à la personne à soigner? Ce qui semble faire « autorité » au premier abord dans l’observation de la séquence relatée, c’est la règle professionnelle imposé par l’énonciation du projet de soin. . La règle avait été énoncée par le porteur de l’autorité qui est également porteur du pouvoir d’évaluer les conduites professionnelles et de procéder à l’exclusion des professionnels aux comportements jugés « non professionnel ». Lorsque j’interroge l’inconfort de la soignante par rapport à la règle, je découvre non seulement le lien avec son histoire personnelle, mais aussi le véritable principe structurant de son action : la peur d’un jugement négatif par son « autorité hiérarchique ». Cette peur induit l’obéissance passive à une loi qui lui semble pourtant contraire à la définition qu’elle s’est faite de la pratique de sa profession. Comment est alimentée cette peur ? Montesquieu lie ce principe structurant à la gouvernance tyrannique. Je ne rencontre pas de cadre tyrannique, mais j’entends qu’on l’attend de pied ferme, le cadre à poigne qui pourrait remettre de l’ordre. Celui qu’on a, n’a jamais le temps. Il est trop occupé ailleurs. Elle ne sait faire respecter la loi. Quelle loi ? Celle qui permet que les résidents se tiennent à carreau, qu’ils ne dérangent pas le bon déroulement d’un travail qu’on veut réglée comme une partition de musique. Une loi qui prend en considération les besoins du soignant pour ne plus se sentir débordé par les besoins incontrôlables du résident. Le cadre disqualifié hausse les épaules. Elle a voulu donner des solutions à son équipe. L’équipe n’a pas suivi les conseils. Elle finit par se lasser de cet étage et s’investit dans les équipes des autres étages. Cela arrange tout le monde, finalement. On est bien plus tranquille sans le chef qui a montré, une fois de plus, son impuissance à régler les problèmes. Elles ne se débrouillent pas si mal, se rassure le chef. C’est vrai qu’il est difficile à gérer, ce Monsieur. Le cadre est par ailleurs assez occupé dans les deux étages qui restent. Les soignants y sont plus jeunes, moins expérimentés. Son « autorité » y est acceptée et valorisée. .. Elle s’y sent utile et compétente. Un lien de confiance a pu s’établir entre soignant et cadre. Elle répond avec bienveillance au besoin d’étayage des jeunes professionnels. Certains ont eu à travailler dans le service qui s’occupe de Monsieur P. et dénoncent la mauvaise qualité d’accueil fait aux nouveaux à cet étage. Ce service, le constat est clair, est devenu le « mauvais objet », l’endroit ou se concentrent les dysfonctionnements. Il est utile pour renforcer ailleurs l’image idéalisée d’une « bonne équipe ». L’observateur, spécialisé groupe et institution, constate l’efficacité de Monsieur P. à renforcer un clivage préexistant de ce groupe et de mettre à distance le « chef » légitime. Ce clivage, à considérer comme stratégie collective de défense, s’inscrit dans une histoire. Je découvre dans les annales de l’établissement les traces d’une période prolongé d’absence d’encadrement. Cette vacance d’encadrement correspond à une période de transformation structurelle de l’établissement. Faute de guidance, la transformation désirée d’une structure fortement pyramidale dont le principe organisateur est l’obéissance sans faille à la volonté dite divine d’un supérieur de droit divin, vers un système de gouvernance moderne de type participative, n’a pu avoir lieu. La nouvelle structure est plaquée sur d’anciennes formes de l’être ensemble qui perdurent sous l’apparence d’un modèle participatif qui aurait, comme principe structurant, le dialogue. La possibilité de ce dialogue est fortement inhibée dans ce groupe qui trouve sa cohésion dans une croyance résumée dans l’expression « Heureusement, on s’entend bien entre nous ». L’affect seule ressource pour survivre aux assauts des résidents de plus en plus exigeants, d’un encadrement de plus en plus absent, d’un manque de personnel de plus en plus récurent. Celui qui met en danger cette bonne entente, celui qui génère le conflit, qui formule une divergence de point de vue, est rapidement mis à l’écart du groupe. Ceci empêche bien entendu tout débat professionnel, soubassement indispensable d’un développement des compétences professionnelles.
Des hypothèses aux stratégies d’actions
Comment aider cette équipe à sortir de l’impasse? Comment donner une fonctionnalité aux réunions de travail, au temps de concertation qui permettrait non seulement d’élaborer le projet de soin, mais aura une fonction d’étayage de la pensée professionnelle des moins expérimentés, des moins formés ? Soutiendrait le développement des identités professionnelles, renforcerait le sentiment d’appartenance à un groupe professionnel ? Ce sentiment d’appartenance puiserait sa force non du sentiment affectif « on s’aime », mais de la fierté de grandir, de développer ses compétences, en transformant les situations de soin difficiles en champ d’étude et d’apprentissage. Dans le cas d’un groupe de travail devenu non fonctionnel, un travail régulier, centré sur le fonctionnement groupal plus que sur la production de travail, permettra de dégager les freins au développement de nouvelles formes d’être ensemble. Le frein principal dans ce groupe est constitué par un réseau de croyances concernant le rapport à l’autorité et une représentation tyrannique du pouvoir. Le premier travail dans ce service sera un travail de soutien de l’équipe d’encadrement qui doit résister à la tentation de conduite autocratique induite par ce groupe en posture de passivité. Dans l’après-coup des réunions de synthèse, nous traquerons les pièges de la soumission passive et de la rébellion stérile pour étayer progressivement le cheminement du groupe vers un vrai débat professionnel. Nous constatons lors de ce travail les pièges de nos propres représentations archaïques qui nous poussent bien souvent abusivement vers le rôle du sauveur, de se ranger du côté de celui qui, apparemment, est faible, et d’obstruer ainsi l’accès vers l’élaboration d’une solution satisfaisante, acceptable pour tous. Nous constatons nos peurs face au conflit : peur de sortir perdant du combat, de déraper verbalement, de perdre contenance. Pour éviter la défaite, nous découvrons le confort de la posture tyrannique qui exclut le conflit par la négation de l’altérité … qui était la problématique centrale de Monsieur P.
Limite des politiques sociales
Dans le cadre des réformes du secteur sanitaire et social, une documentation importante vouée à l’amélioration de la « qualité de soins » a vu le jour ces dernières années et reflète une activité intense de recherche. Sur la méthodologie de base «recueil de données, analyse, action, évaluation », nous cherchons à dégager les invariants d’une situation pour en extraire un cadre de conduite sécurisé. Par isolation, un processus de soin se voit transformé en procédure de soin « validée » « faisant foi », correspondant à une règle professionnelle. Le catalogue de « conduites à tenir face à » cherche à formaliser « la meilleur façon de faire ». Ces référentiels donnent l’impression d’une certaine maîtrise possible. Produits par une élaboration clinique, ils reflètent une pensée professionnelle et fournissent un certain « prêt à penser ». Ils enrichissent indéniablement le corpus du savoir professionnel et peuvent servir d’étayage pour améliorer les pratiques réelles. Mal utilisés, ils peuvent renforcer le sentiment d’échec et d’impuissance dans certaines équipes, malmenées par les déterminants d’une histoire qui, souvent, leur échappe.
Conclusion
Par cet exemple, j’ai voulu mettre en relief l’importance de la capacité de débattre avant de poser les « règles » d’un soin. Chaque professionnel doit comprendre le véritable sens de la règle afin de pouvoir la transposer efficacement dans la situation de soin. Bien utiliser la règle nous renvoie à notre rapport à la loi. Ce rapport est en lien profond non seulement avec le contexte, mais aussi avec nos figures d’attachement primaire et leur capacité d’assurer un cadre de vie sécurisant. La loi sert à structurer les rapports qui lient les humains les uns aux autres. Mal formulée, mal utilisée, elle peut devenir outil d’aliénation. Ce cas apparemment banal peut illustrer la complexité de l’activité du soin à la personne et l’importance, pour les équipes, de disposer d’un espace permettant de penser et repenser leur travail quotidiennement. L’accès à la compétence dans les professions impliquées dans la relation d’aide passe par la capacité d’analyser une situation de soin non seulement selon des critères extérieurs, objectivables, mais implique également la capacité de considérer et maîtriser les déterminants subjectifs liés à l’histoire du soignant et de la personne en demande de soin, mais aussi à l’impact du milieu environnant. Les professionnels de ce champ d’activité récent appelé « Analyse des pratiques » cherchent à développer cette capacité. L’intervenant, par son externalité au système observé, peut garantir le niveau de neutralité nécessaire pour accompagner ce travail.
Un article de Elke MALLEM