Analyse des pratiques professionnelles : quel choix d’équipe ?
EDITO
Nous inaugurons ici une nouvelle rubrique ou nous donnons la parole aux responsables de structures et services: Coordinateurs, Cadres, Chefs de services, Directeurs…
Marc LASSEAUX Intervenant en Analyse des pratiques professionnelles et éditeur de la Lettre Psy & Co les interviewe individuellement sur les problématiques qu’ils rencontrent dans l’élaboration, la mise en place ou la réalisation de séances d’Analyse des pratiques ou de supervision au sein de leurs équipes.
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De l’analyse des pratiques dans un FAM
Dans l’interview qui suit, le directeur-adjoint d’une structure médico-sociale présente l’expérience d’un dispositif d’analyse des pratiques conduit dans son institution.
AP – Présentez-nous votre structure.
DA – Il s’agit d’un foyer d’accueil médicalisé. Il fonctionne depuis près de vingt années. Sa vocation est d’accueillir des personnes cérébrolésées, et de leur proposer un hébergement et un accompagnement médical et social en lien à leurs besoins et projets de vie. L’équipe qui accompagne au quotidien les personnes cérébrolésées est composée dans sa grande majorité par des professionnels AMP et AS, accompagnés pour la partie sociale par des coordinatrices sociales et pour le soin par une équipe médicale et para médicale et un psycholoque.
AP – Quelles sont les pathologies prises en charge ?
DA – Les personnes cérébro-lésés présentent différentes pathologies , d’ordre physique, psychique et neurologique entrainant des dés-inhibitions des perte de mémoire, mais aussi des psycho-pathologies en rapport avec leur histoire personnelle. D’une manière générale, quelles que soient les pathologies, les difficultés majeures rencontrées par les professionnels sont celles d’établir et de maintenir un cadre de vie sociale stable pour les personnes. Or, dans le cas notamment des troubles de la mémoire, c’est chaque jour qu’il faut repositionner le cadre avec la personne, à ceci s’ajoutant parfois des difficultés à intégrer les interdits et un cadre collectif en raison de leur histoire de vie. C’est à cette fluctuation des limites au repositionnement répété du cadre de vie que les professionnels doivent s’ajuster dans le respect de la personne et au regard de sa pathologie. Cette réalité professionnelle difficile et déstabilisante, peut entrainer les professionnels dans l’impuissance et dans la confrontation à leur propre souplesse, leur propre capacité à vivre le changement.
AP – Dans quel contexte avez-vous initié un dispositif d’analyse des pratiques ?
DA – Le besoin d’analyse des pratiques a été identifié et conduit il y a une dizaine d’années. Notre approche de l’époque privilégiait une participation de l’équipe pluridisciplinaire. Nous avons connu trois dispositifs successifs. Aucun d’entre-deux n’a été pleinement satisfaisant, chaque cycle et chaque choix engageant du manque, au regard du vécu précédemment décrit, sans toutefois nier le bénéfice du côté fédérateur d’être dans ce travail en équipe pluridisciplinaire.
AP – Quels choix aviez-vous fait ?
DA – Notre institution avait fait un choix initial : celui de faire participer toute l’équipe pluridisciplinaire à ce travail d’analyse de pratique. C’est un choix que nous avons maintenu, d’un superviseur à l’autre. Le premier superviseur était psychanalyste. Sa position éthique, de laisser au groupe l’initiative des demandes, a suscité de l’insatisfaction. Les deux praticiens qui ont suivi, quelles que soient leurs qualités et leur référentiel respectif, ont buté sur la question de l’analyse des pratiques. Or, nous pensions qu’un dispositif d’analyse des pratiques se devait de traiter des pratiques professionnelles. Des superviseurs, nous attendions une position dissociée, c’est-à-dire nous permettent un regard distancié par rapport à nos pratiques et un partage de points de vue par rapport à l’accompagnement des personnes cérébrolésées en lien avec leur besoin.
AP – Cela ne s’est pas produit ?
DA – Il y a eu des acquis. Mais ce travail n’a pas apporté l’attendu: « travailler sa pratique » et s’est répété dans chaque temps de travail d’analyse des pratiques.
AP – Quelle est votre analyse aujourd’hui ?
DA – Différentes causes sont à l’œuvre. Chaque professionnel n’a pas le même référentiel à penser sa pratique et le rapport au savoir est différent en fonction des métiers. De ce fait, le rapport au savoir, à penser, à réfléchir par ces différences à générer des blocages. Nous l’avons observé dans un des dispositifs précédé d’une formation théorique au référentiel du superviseur. Ce référentiel est demeuré « une langue étrangère » pour certains professionnels. Ce retour d’’expérience m’amène à considérer qu’un dispositif d’analyse de pratique pour être satisfaisant doit s’adresser à un métier en particulier qui partage la même pratique. L’objet de ce travail devient alors un partage sur une pratique partagée, ses difficultés, ressources, un lieu d’échanges pour élaborer des façons d’être et de faire différemment au bénéfice de l’accompagnement des personnes cérébrolésées. Faute de quoi, ce que nous avons pu observer avec la présence de l’équipe pluridisciplinaire, ce dispositif d’analyse des pratiques se transforme en un lieu de régulation, et va traiter de la dynamique institutionnelle, des rapports entre les professionnels, bien plus que de la pratique à proprement parler.
AP – Vos réflexions conduisent à vous interroger d’autre part sur la phase de préparation d’un tel dispositif.
DA – La spécificité de chaque métier(s), les spécificités d’un groupe de son histoire et de son parcours, son identité professionnelle, sont autant de facteurs à prendre en compte dans le choix du superviseur et de sa pratique. D’autre part un dispositif d’analyse des pratiques s’élabore entre le commanditaire (en l’occurrence la direction qui portent les besoins de l’équipe) et le superviseur. C’est un temps de travail où la demande doit être clarifiée. Cette étape est un enjeu majeur qui conditionnera la justesse du travail proposé à l’équipe au regard des besoins. Notre expérience me fait dire que ce stade initial est déterminant pour cerner les enjeux institutionnels et proposer une réponse la plus ajustée possible aux besoins identifiés (qui demande quoi, à qui, pourquoi faire, pourquoi maintenant….).
Propos recueillis par Marc Lasseaux, Psychanalyste et Intervenant en Analyse des Pratiques
Equipe, Analyse des Pratiques Professionnelles, APP, Dispositif, FAM