L’Analyse des Pratiques : choix, contraintes et nécessité !
“Seul on va plus vite ! Ensemble en analyse des pratiques on va plus loin… “
De la même manière que la découverte des pays enrichit notre vision du monde, le voyage à travers des métiers et des fonctions élargit le champ de nos perceptions et nous ouvre à la compréhension des organisations, du collectif et de ses acteurs. Francis LAUMOND fait partie des professionnels de l’Analyse des pratiques ayant occupé des postes et des fonctions multiples dans le secteur médicosocial. Nous nous sommes intéressés, lors d’une rencontre, à la richesse de ses expériences.
Une expérience de Chef de service en SAVS
Le Portail de l’APP : Monsieur LAUMOND, vous êtes chef de service (CAFERUIS) depuis 15 ans d’un SAVS pour personnes handicapées mentales et d’un SAMSAH pour personnes handicapées psychiques.
” C’est cela, et ces deux services accompagnent 430 personnes. Je suis en responsabilité sur la moitié de ces services. J’encadre et coordonne 2 équipes soit 25 personnes : éducateurs, conseillères, psychologue, psychiatre et infirmière. J’ai été moi-même éducateur spécialisé auprès de différents publics (IME,IMPRO, CHRS, MECS ). “
Chef de service et Analyste des Pratiques
Le Portail de l’APP : Vous animez également depuis quelques années des sessions d’analyse de la pratique en Foyer de vie, Unité d’accueil d’urgence, SAAD, SSIAD, EPAHD.. et vous avez également été vacataire en centre de formation en travail social. Quelles sont les raisons de cette orientation ?
” Les raisons sont multiples, la fonction de cadre peut être enfermante, il est à mon avis important d’aller se nourrir ailleurs pour s’enrichir de nouvelles ressources. Lorsqu’on est en poste de responsabilité le travail de pensée ne doit pas être négligé. L’évolution de la fonction de cadre vers davantage de gestion administrative et financière m’éloignait du terrain, des équipes, des usagers, de la clinique, l’APP est une alternative intéressante
Puis j’ai eu à gérer des situations institutionnelles complexes comme il en existe beaucoup, les lectures (KAES, ANZIEU, ENRIQUEZ, FUSTIER, PINEL..) que j’ai choisies à ce moment-là pour me permettre de prendre du recul, m’ont donné envie de poursuivre sur les phénomènes de groupes. La nécessité d’un soutien fort aux équipes de professionnels a aussi été un moteur, j’avais envie de voir ce qui était possible en utilisant l’Analyse des Pratiques.
Et dernier point peut être, tout simplement l’envie de faire autre chose dans ma carrière. Et enfin un peu de hasard aussi, puisque j’ai commencé en participant à des séances d’Analyse des Pratiques avec un intervenant qui partait à la retraite, une sorte de tutorat et de transmission aussi. “
Des compétences utiles à l’animation de séances d’Analyse des Pratiques
Le Portail de l’APP : Avez-vous entrepris des formations supplémentaire afin d’accompagner ces équipes ?
” Effectivement, je termine une formation de superviseur/analyseur de la pratique à l’ETSUP à PARIS couplée avec un Master 1 en clinique de la formation à la faculté de Nanterre. »
Il est possible d’animer des séances d’analyse de la pratique sans formation particulière en s’appuyant sur son expérience, d’ailleurs j’ai commencé avec une formation de 3 jours seulement. Mais rapidement des questions autour de la légitimité et de la prise de recul se sont présentées à moi. L’intervenant en Analyse des Pratiques est seul face à sa pratique, j’ai ressenti le besoin de me former face à la complexité de l’exercice.
J’ai choisi une formation qui propose une approche interdisciplinaire, la psychanalyse, la psychosociologie clinique, la sociologie des organisations, l’anthropologie en constituent l’ossature théorique et conceptuelle.
L’analyse des pratiques met les professionnels au travail sur leurs relations inter et intra subjectives, dans l’espace institutionnel, que ce soit en direction des usagers, des collègues ou des directions, mais aussi du rapport au socio-politique. Pour accueillir les pensées, les affects, les émotions, les tensions, l’intervenant doit être en mesure de proposer et tenir un cadre contenant.
Ce sont les compétences nécessaires pour proposer ce cadre que je suis venu chercher dans cette formation. Pour permettre aux professionnels d’analyser leur pratique c’est à dire prendre le temps de décomposer leur manière de faire et de penser individuellement et collectivement, sortir de la spirale action /réaction/résultat, j’avais besoin de travailler sur les processus psychiques individuels et collectifs. Par exemple mieux appréhender les notions de transfert/contretransfert, d’inconscient collectif, de projection, de résistance, d’institution…”
De la sécurité et de la confiance entre les acteurs
Le Portail de l’APP : Qu’est ce que votre expérience de cadre a apporté dans votre exercice d’animateur ?
” Avant d’être cadre j’étais aussi éducateur spécialisé, je pense avoir une approche assez complète des mécanismes institutionnels ainsi que des différentes « scènes » institutionnelles. Peut-être que la fonction et l’expérience de cadre apporte un sentiment de sécurité à un groupe.
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Lors des séances avec des professionnels de terrain
Pour les professionnels de terrain il me semble que le rapport est différent, cela sécurise mais je crois qu’il y a également un intérêt et une curiosité à rencontrer un cadre dans une autre fonction que la classique relation hiérarchique. Souvent j’ai eu des questions du type « mais vous avec votre expérience de cadre qu’en pensez-vous… » je me garde toujours de répondre au risque de sortir du travail de réflexion et d’analyse pour satisfaire une réponse immédiate sous-tendue par le transfert du sujet supposé savoir. »
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Lors de séances avec des cadres
Les cadres qui participent aux groupes d’APP se sentent très vite en confiance car mon expérience de management facilite les échanges de pairs à pairs, tout du moins en apparence, car il ne s’agit pas de parler de la même place, c’est-à-dire d’être un super cadre et de projeter ses propres désirs et plaquer des réponses toutes faites. La connaissance des problématiques des cadres, de leur contexte de travail facilite les échanges et permet la mise en place d’une relation de confiance.
Je crois que depuis que j’interviens en APP je suis en capacité de porter un regard beaucoup plus complet sur mon activité. Je suis plus à l’écoute des professionnels car plus sensibilisé à l’expression des ressentis qui avant pouvaient passer inaperçus. Par exemple la notion d’écoute inconditionnelle permet de résister à porter des jugements trop rapides et passer à côté d’informations importantes pour accompagner les professionnels dans leurs missions. Aujourd’hui on demande aux cadres, de gérer, contrôler, planifier, organiser, de plus en plus, en oubliant la dimension de soutien « dans la clinique avec les usagers». Cette fonction phorique est pourtant fondamentale pour permettre aux professionnels de sup-porter aussi les usagers. Je fais référence au “holding du holding” à partir des travaux de Winicott évoqué par Claude Allione dans son livre La part de rêves dans les institutions (2010); celui qui porte a besoin d’être porté. Les professionnels de terrain portent les usagers, les cadres portent les professionnels. Qui porte les cadres ?
J’ai également appris à porter un autre regard sur les fonctionnements institutionnels, notamment à partir d’une approche anthropologique et sur la question des transmissions conscientes et inconscientes.
Bien souvent les équipes et les institutions sont encombrées par des objets ou des obstacles qui s’installent dans les espaces institutionnels et embolysent le travail de pensée et de réflexion parce qu’ils ne sont pas traités. Cette formation m’a permis de voir que les difficultés de la pratique professionnelle peuvent se loger et prendre racine dans des petits détails que nous négligeons de regarder.
Enfin je crois que je fais encore davantage confiance dans les capacités d’analyse et de prises de décisions des professionnels, car je questionne davantage leur pratique plutôt que de la diriger, ce qui renforce leur pouvoir d’agir.”
Les leçons d’une double expérience
Le Portail de l’APP : À quoi vous paraît-il indispensable d’attacher de l’importance lors de la mise en place de sessions ?
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“Le choix de l’intervenant en Analyse des Pratiques
Le choix d’un intervenant est important pour que la dynamique de réflexion souhaitée par la direction se mette en place et perdure. Une intervention en APP doit être pensée dans la durée, il n’y a pas de règle absolue mais un minimum de trois années me semble pertinent. Le groupe d’APP à une vie propre à lui avec l’intervenant, la temporalité est un élément important pour que chacun s’investisse. Il existe des disparités importantes entre les équipes, en fonction du public, du contexte institutionnel, elles ne s’engagent pas de la même manière dans l’APP.
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Les orientations théoriques
Les orientations théoriques ainsi que les méthodologies d’intervention sont importantes à prendre en compte. Toutes les approches et disciplines ont leurs intérêts, ainsi que le type de professionnels, ce qui compte c’est l’adéquation de la demande institutionnelle et l’offre de l’intervenant. Ensuite c’est l’affaire du groupe et de l’intervenant. La pertinence de l’intervention doit être questionnée au moins chaque année.
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La constitution du groupe
D’autre part la réflexion sur la constitution des groupes est importante, pendant longtemps nous organisions les groupes en fonction des équipes, ce qui avait pour effet que les mêmes professionnels se retrouvaient toujours ensemble. Depuis quelques années nous croisons les professionnels de différentes équipes pour constituer des groupes d’APP . Ce qui a pour effet de recentrer les échanges sur la pratique auprès de l’usager et moins sur les phénomènes institutionnels ou des éléments périphériques. Le groupe d’analyse de la pratique est un groupe à part entière, c’est un appareil à penser qui vient en soutien des professionnels qui s’exposent à exposer leurs difficultés au travail. Aujourd’hui avec l’évolution du secteur médicosocial et le décloisonnement et l’ouverture de la formation, il est possible de concevoir des dispositifs d’analyse de la pratique constitués par des professionnels de structures différentes.
Je me garderai de donner des conseils mais quelques remarques. Mettre en place de l’APP est un passage et un acte courageux car il implique l’acceptation de remise en question des pratiques donc assez directement une critique des objectifs assignés par l’institution aux équipes, et potentiellement une critique de la direction.
Une institution, une équipe sont des êtres vivants qui ont besoin qu’on prenne soin d’eux, si les dirigeants font l’économie de porter une attention particulière à ce que vivent le professionnels ils s’exposent à une perte de sens donc d’engagement. C Allione parle de la part des anges qui est l’évaporation du vin au cours de la vinification , et de l’ouillage qui est la compensation en vin supplémentaire pour qu’elle continue. Dans les institutions les anges sont les rêves, et si les institutions écartent cette part du rêve, cette part offerte au rêve, elles s’étiolent, se referment, et ne produisent plus les effets escomptés, c’est à dire un travail de qualité. Ce rêve c’est l’analyse de la pratique qui l’entretien, qui fait l’ouillage. Pour vivre une institution a besoin de cette part de rêve qui peut apparaître comme une perte, mais in finé se révèle être un gain.
L’évolution de la commande publique, la rationalisation des coûts, la marchandisation du social, la souffrance sociale, sont autant d’indicateurs qui conduisent à une augmentation des tensions sociales. Les professionnels du secteur sont en prise directe avec ces publics, ils doivent être soutenus. L’Analyse des Pratiques Professionnelles est un moyen de recréer de la pensée, du lien, de la parole dans le collectif.
Que ce soit pour les équipes de terrain ou les équipes d’encadrement; l’APP permet de retravailler l’engagement personnel et le rapport au groupe, au collectif, réapprendre à penser en équipe, retravailler les solidarités professionnelles. A l’heure des individualités et des communications éphémères, du mirage numérique; j’utilise souvent en APP ce proverbe africain bien connu mais toujours utile à rappeler « seul on va plus vite ensemble on va plus loin ».”
Un interview de Francis LAUMOND, Cadre du secteur Médicosocial et
Intervenant en Analyse des Pratiques Professionnelles
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