Adoption et Analyse des Pratiques
De l’Analyse de pratique dans le cadre des réflexions sur la prise en charge psychologique en urgence et la question de l’adoption en situation « extra-ordinaire »
Un contexte extra-ordinaire
Le 12 janvier 2010 à 16h53, un tremblement de terre de magnitude 7 dévaste Haïti.
Le gouvernement français achemine quelques 400 enfants vers Paris, où ils bénéficient d’un accueil médico-psychologique par les CUMP d’Ile-de-France.
Après évaluation, il semble impératif de mettre en place un nouveau dispositif favorisant cette étape essentielle dans le processus d’adoption : l’apparentement.
En février 2010, une mission ministérielle est diligentée en Haïti, avec une psychologue pour enfants guadeloupéenne et , de leur travail naît l’idée de créer une unité d’accueil spécifique pour les enfants haïtiens adoptés par des parents français, en Guadeloupe permettant cette mise en lien.
L’analyse de pratique professionnelle aux Antilles françaises
L’analyse de pratique professionnelle aux Antilles françaises est difficile a mettre en place car la notion même d’analyse de pratique réveille en chaque professionnel un sentiment de jugement préétabli et ne permet pas de revoir en toute quiétude sa relation soignant-soigne ou professionnel-beneficiaire.
Quelque soit l’objet de la prise en charge, le regard sur le bénéficiaire est tronque car aux Antilles françaises, l’aspect « je fais ca pour toi » ou « je te rends service » est encore prégnant dans la pratique professionnelle médicosociale.
Il est donc important d’en tenir compte dans les sessions d’analyse de pratique professionnelle afin de parer les incompréhensions et quiproquos néfastes à une étude bienveillante des cas présentés.
L’analyse de pratique professionnelle en service d’adoption, en service social et/ou d’urgence.
Mon propos sera illustré par une expérience professionnelle ou l’urgence et la compréhension plus innée qu’acquise cohabitaient pour une efficacité nécessaire au devenir de ces enfants déjà traumatisés par le tremblement de terre mais surtout par la rupture avec leur environnement familial et culturel d’origine.
Le 12 janvier 2010 à 16h53, un tremblement de terre de magnitude 7 dévaste Haïti. De suite, les secours s’organisent ; la communauté caribéenne et internationale se mobilise pour aider à retrouver les rescapés dans les décombres. La Cellule d’Urgence Médico-Psychologique (CUMP) de Guadeloupe est déclenchée le 13 janvier 2010 et intervient lors de l’acheminement des enfants haïtiens adoptés par des parents français, en direction de Paris.
Les enfants sont en majorité malades (gale, teigne, gastro-entérite,….) et certains sont traumatisés par le séisme et les conditions de voyage difficiles.
Des problèmes surgissent dans les familles peu préparées à réagir face à un enfant qui pleure, selon eux sans raison, par caprice, qui veut dormir par terre, qui ne parle pas le français, qui est malade, qui est chétif, qui veut se baigner à l’eau froide et craint l’eau chaude, qui refuse “ces” parents car il ne les connait pas, etc.
L’enfant préexiste dans l’imaginaire familial (parents, grands-parents…), la plupart du temps comme enfant idéalisé qui viendra conforter, prolonger, voire réparer le narcissisme parental.
Il est également inscrit dans ce qu’on appelle “le Symbolique”; c’est-à-dire qu’il va occuper une place socialement définie (fils ou fille de…, dans une culture et un groupe social particulier, dans la succession des générations).
Pour accéder progressivement à l’autonomie psychique l’enfant réel ne devra être: ni totalement submergé par “l’enfant imaginaire” parental, ni en complet décalage (ce dernier cas se produisant souvent lorsqu’il y a un handicap).
Dans cette situation, les professionnels de soutien ont été confrontés à une désillusion parentale face à cet enfant qui ne correspondait parfois pas à ce qu’attendaient les parents.
De régulières régulations ont été nécessaires avec les équipes pour mieux appréhender les spécificités de la prise en charge.
Puis, il a été mis en place une analyse de pratique pour les actions à venir.
Les questions posées par les séances d’Analyse des pratiques
- Comment aborder l’intérêt supérieur de l’enfant en supposant qu’il soit, même nourrisson, systématiquement informé des projets élaborés à son sujet, qu’il soit entendu et consulté dans la mesure de son entendement, qu’il soit préparé à tout changement de vie, notamment à son placement en vue d’adoption et que celui-ci fasse l’objet d’un suivi au moins jusqu’à la réalisation définitive de l’adoption ?
- Comment apprécier les besoins de l’enfant et le projet des adoptants ?
- Comment préparer la rencontre de l’enfant avec ses futurs parents en situation d’urgence ?
Nous savons que les informations propres à aider les parents adoptants à passer de la situation rêvée ou fantasmée à la situation réelle doivent concorder et que toute la démarche doit être organisée avec un soutien professionnel psychologique et social. La transition doit se faire en douceur. L’enfant doit être préparé avant la rencontre avec ses futurs parents adoptifs et son déplacement vers le pays d’accueil.
- Comment aborder les éventuelles difficultés de communication liées à la langue et à la culture ?
NE PAS OUBLIER : s’agissant de la rencontre de deux cultures au-delà des personnes, une préparation est nécessaire pour diminuer le choc (nourriture, sommeil et hygiène, relations entre individus, comportement social, jeux, etc.).
L’analyse de pratique professionnelle a tout son sens pour réfléchir à l’apport de la prise en charge psychologique des enfants et des adoptants, notamment quand ils viennent de Haïti, de la République Dominicaine ou de l’île de la Dominique.
Bien que proches géographiquement et phénotypiquement, la langue et quelques aspects de la culture diffèrent, créant des hiatus dans la prise en charge, même hors situations d’adoption.
J’ai pu constater que le professionnel médico-social avait du mal à sortir du jugement et parfois du positionnement de supériorité face à une population qu’il juge de par sa spécificité politique et son immigration induite par l’absence d’opportunités de travail sur leur île.
Lors des séances d’analyse de pratique professionnelle, il est important de revenir sur la bienveillance, la neutralité et l’étude complexe mais nullement compliquée des situations humaines, donc proches.
Les paramètres essentiels de ce travail ont été fixés grâce aux observations de la clinique institutionnelle et celles de la clinique individuelle, incluant la psychopathologie d’une part et la psychologie des liens et de l’adaptation interhumaine d’autre part.
Une réflexion psychologique sur l’évaluation clinique et globale de chaque enfant, un ajustement avec les équipes, au quotidien, des consultations familiales, à la demande, basées sur les interactions affectives, émotionnelles, culturelles, une réactualisation des aspects organisationnels, ont permis une gestion du stress des différents groupes de professionnels.
Dans l’espace caribéen, il y a la nécessité de “s’imprégner et de respecter toute la dimension culturelle des zones d’intervention.
Concernant l’espace métropolitain, pacifique ou indien, je crois que les réflexions seront les mêmes face à des populations dites « culturellement différentes » car le registre de perception des situations, si l’on n’y prend pas garde, peut être parasité par nos à-priori, malgré notre sacro sainte objectivité professionnelle.
Un article de Gladys Palin
Psychologue et Intervenante en Analyse des Pratiques Professionnelles
Références bibliographiques
- Chicoine J.-F., Germain P., Lemieux J. (2003). L’enfant adopté dans le monde. Montréal, Éditions de l’hôpital Sainte-Justine.
- Monléon (de) J.-V. (2003). Naitre là-bas, grandir ici, l’adoption internationale. Paris ; Éditions Belin.
- Perron-borelli M., Perron R., (1970…éd. Réc 2001). L’examen psychologique de l’enfant, Paris, Presses Universitaires de France.
- Douet B., dir. (2004). Evaluer et prendre en charge les troubles de la pensée chez l’enfant. Paris, Dunod.
- Romano H, Baubet T, Chollet-Xémard C, Marty J, Moro MR. Medical and psychological airport reception and care of children from Haiti adopted to France. The Signal, Newsletter of the World Association for Infant Mental Health 2011; 19(1):14-17.
- Gladys CHARLES PALIN
- psychologue.gladys@yahoo.fr