Évaluation des pratiques professionnelles VS Analyse des pratiques

Écrit par Maxine BOUDJEMAA le 2024-04-01.

L’évaluation des pratiques professionnelles et l’analyse (EPP et APP) ont en commun l’étude des pratiques professionnelles. La pluralité de définition des pratiques réside dans les lexiques sociologique, philosophique et technique. L’ensemble intègre les notions d’activité concrète, de modification de l’environnement et d’expérience.

Toutefois, le processus analysé, la forme et l’application divergent d’une méthode à l’autre. Par conséquent, il est essentiel de comprendre ce qu’implique chacune d’elles pour une utilisation efficiente et pertinente.

Qu’est ce que l’Évaluation des Pratiques Professionnelles ?

Formalisée par la loi relative à l’Assurance Maladie en 2004 (1), l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) fait partie intégrante du champs de la santé. Sous diverses formes validées par la Haute Autorité de Santé, les médecins sont encouragés de manière triennale au développement professionnel continu qui fait l’objet d’une commission de validation. Parallèlement, l’expansion des certifications et accréditations des établissements sanitaires renforce le domaine de l’évaluation dans un objectif d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (1).

La démarche d’évaluation repose sur la détermination préalable de critères spécifiques mesurables (2). La mesure de ces critères conduit à l’appréciation des pratiques réelles et à leur comparaison avec les attendus. Il s’agit donc d’une démarche procédurale qui doit s’inscrire dans un référentiel prédéfini. Elle est réalisée de diverses manières ; La collecte de données à postériori, l’approche par la résolution des problèmes ou encore l’approche par processus. S’intégrant dans une démarche qualité, les processus d’EPP se doivent de s’articuler autour de la roue de Deming.

Qu’est-ce que l’Analyse des pratiques professionnelles ?

L’analyse des pratiques professionnelles constitue une démarche réflexive explicative permettant de décomposer les processus pour en détailler les éléments et en refaire la synthèse. Si les pratiques sont définies comme des actions modifiant l’environnement, il convient de s’attacher au terme de « praxis » (3). Dès l’Antiquité, Aristote intégrait la praxis à l’Humain dans sa capacité à produire des objets matériels, des savoirs et à s’auto-produire. Par la suite, Marx affirme la praxis comme « l’expression même de l’action transformatrice, émancipatrice de l’humanité»(3). La pratique est inhérente à l’existence de l’homme et la pensée essentielle.

Par conséquent, l’analyse des pratiques se doit d’intégrer la pensée humaine dans l’action des processus professionnels. En effet, la praxis précise la compréhension du collectif par l’intégration de valeurs non analysables de manière procédurale et directe. Ces valeurs sont donc intrinsèques à l’Homme qui devient objet d’étude lui-même. L’APP se distingue alors de l’EPP par l’analyse humaine et relationnelle. Il s’agit donc d’intégrer le postulat que « nous ne pouvons pas ne pas communiquer » (Paul Watzlawick).

Comment intégrer la dimension relationnelle dans l’évaluation ?

Dans ce contexte, une interrogation majeure née : Comment mener une action d’amélioration continue dans une démarche de qualité en santé sans intégrer ce qui est inhérent à son fonctionnement, l’Homme ?

Le pilotage du groupe doit donc inclure le désordre social. L’homéostasie du tissu relationnel est un fondement essentiel au bon fonctionnement de l’organisation. La compréhension de la manière dont se maintient cet équilibre ou dont il s’écroule nourrit alors le processus de changement et de perfectionnement. L’analyse de l’intersubjectivité, connecteur intrinsèque de l’ensemble du tissu relationnel met en exergue le découpage détaillé des relations. Alors, la mise en lumière des dysfonctions relationnelles permet de refaçonner les dynamiques, au service des individus, de la naissance de nouvelles idées et in fine, au service de l’entreprise.

L’intérêt de la Santé à s’appuyer sur cette réflexion réside avant tout dans l’importance de la relation soignant soigné. « Le médicament le plus fréquemment utilisé en médecine est le médecin lui-même » (Balint) (4). Le pilier principal d’amélioration des process sanitaires demeure l’humain. Pour autant, ces méthodes d’Analyse s’effacent au profit d’une Évaluation mesurable et normée alors même que les groupes de parole « Balint » s’intégraient dans un dispositif d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) continue dès les années 40.

Quelles méthodes d’animation pour les GAPP en santé ?

Parmi les diverses méthodes utilisées, citons :

Les groupes Balint

Les groupes Balint sont l’exemple même de l’intégration de l’individu dans l’étude des pratiques professionnelles en santé. Penser par le psychiatre et psychanalyste Michael Balint, cette démarche a été initialement conçu pour l’amélioration des pratiques par le partage d’expériences entre médecins. Les interactions collectives conduisent à l’expression des sentiments et pensées du praticien. Cet exercice sur la « personnalité professionnelle » (5) explore la psyché du médecin et les effets sur ses actions. Il s’agit donc d’explorer la pratique professionnelle au travers de l’expérience et du vécu humain pour établir de nouveaux schémas. Cette réflexion amène à l’élaboration de nouvelles réponses dans une démarche de qualité continue.

La Gestalt Thérapie

Née dans les années 50 grâce à Fritz Perl, La Gestalt thérapie repose sur la notion d’indissociabilité de l’Homme à la pratique. Elle porte son attention sur les relations intersubjectives dans un objectif de renforcement de la cohésion (6). Son application dans le milieu médico-social appuie son intérêt dans les métiers du soins permettant une extrapolation de ses bénéfices au champs sanitaire.

Avec le développement de l’analyse des pratiques, de nombreuses méthodes se sont développées au fil des années : GEASE, co-développement, psychodrame, théâtre-forum…

Quelle est la place des GAPP dans les établissements sanitaires ?

Parallèlement, l’expansion de l’Analyse des pratiques apporterait une nouvelle dimension à la gestion des ressources humaines en établissement. Il s’agit donc de permettre aux soignants de prendre de la distance avec leurs pratiques. Il leur sera alors possible de se recentrer sur la qualité des interventions menées en faveur des usagers. De plus, ces espaces de parole constituent une action préventive quant aux éventuels risques psycho-sociaux.

Par conséquent, l’Analyse des pratiques professionnelles constitue l’un des volet qualitatif centré sur le soignant et ses actions. Elle intègre les notions psycho-sociologiques individuelles et collectives inhérentes aux pratiques conduites par l’Homme. En ce sens, elle parait indispensable au processus de démarche qualité tant requise dans le système de santé actuel.

Elle répond aussi à un idéal eudémonique, philosophie encouragée dans les établissements sanitaires comme facteur d’attractivité et de pérennisation des postes hospitaliers.

Maxine BOUDJEMAA – Rédactrice | Secteur sanitaire

Bibliographie

François P, Boussat B, Guyomard A, Seigneurin A. De l’évaluation des pratiques professionnelles au développement professionnel continu : engagement et opinion des praticiens hospitaliers dans les activités d’évaluation des pratiques professionnelles. Santé Publique. 2015;27(2):187‑94.
Haute Autorité de Santé [Internet]. [cité 20 nov 2023]. Critères d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP).
Rozier E. La praxis, une théorie de la pratique. In: La clinique de La Borde ou les relations qui soignent [Internet]. Toulouse: Érès; 2014 [cité 20 nov 2023]. p. 237‑55. (Études, recherches, actions en santé mentale en Europe).
Reznik F. Le groupe Balint, une autre façon de penser le soin. J Psychol. 2009;270(7):29‑30.
Even G. Les groupes Balint et leur spécificité : point de vue. Rev Psychothérapie Psychanal Groupe. 2008;50(1):149‑60.
Chotard-Fresnais A. Les organisations sont aussi des terrains d’intervention pour les gestaltistes. Cah Gestalt-Thérapie. 2013;Numéro spécial(2):215‑30.
Dagou DHW. La reconfiguration d’un modèle d’affaires : une analyse de la hiérarchisation des composantes dans une organisation publique certifiée ISO 9001. Gest Manag Public. 2021;9 / 1(1):59‑77.