Sans dispositif d’analyse de pratiques, que se passe-t-il dans une institution ?
Les dispositifs d’analyse de pratiques et de supervision, en extension, font circuler les exercices professionnels dans les équipes, et entre les personnes concernées. Si l’analyse des pratiques ne fait pas réponse à tout, son absence dans le fonctionnement d’une équipe et d’une institution a des effets dont nous rendons compte dans le bref article qui suit.
Des réunions internes
Les institutions médicales : en psychiatrie publique ou à l’hôpital généraliste, et les institutions médicosociales et sociales, pratiquent des réunions de synthèse et des réunions de service. Ces dernières ont pour but l’organisation du travail, les premières font lien avec le suivi de patients ou d’usagers, avec une visée clinique et opératoire. De ce que nous entendons du dire des professionnelles et professionnels et de leurs responsables, la visée opératoire (prendre une décision à propos de la situation clinique d’un patient ou d’une patiente) reste dominante. Non par choix, mais par contrainte temporelle au regard de la revue du groupe de patients ou d’usagers pris en charge.
Par différence, un dispositif d’analyse de pratiques donne un cadre de réflexion clinique et des pratiques professionnelles qui s’organisent autour et dans la prise en charge. En travaillant des présentations de cas, les professionnels et professionnelles y font circuler des informations et font des liens entre des éléments épars, souvent vécus comme de seuls points de vue individuels. Ils et elles travaillent le transfert, c’est-à-dire ce qui se joue entre un patient, un usager et plusieurs professionnels et professionnelles intervenant dans le suivi et la prise en charge. L’analyse du transfert déplace ce qui se joue dans le temps ordinaire par le recours à des principes et des valeurs auxquels chacun se réfère. Ils sont porteurs de malentendus et de conflits inter-personnels. La présentation de cas donne une assise clinique à l’équipe, un cas en renvoie possiblement à un autre.
Souffrances, attaques du cadre de travail ou des personnes
En l’absence de lieux et de temps pour faire groupe, des professionnels et professionnelles sont renvoyés à leur isolement social et à leurs affects. Leur intériorisation et les mécanismes narcissiques tient lieu de pare-feu, c’est-à-dire de réactions défensives protectrices d’attaques reçues comme personnelles, ou mettant en cause la position professionnelle tenue. En substance, les bonnes pratiques restent des réponses généralistes et protocolaires à des situations singulières de la prise en charge. L’une des injonctions que nous entendons avant le lancement d’un dispositif d’analyse des pratiques est qu’il faudrait faire un travail de cohésion d’équipe. Promue comme évidence par les concepts et méthodes de management, ladite cohésion d’équipe se présente souvent comme un dispositif qui agit sur des symptômes et non des causes. Et par conséquent, ne rend perceptible que des comportements, avec le risque d’unanimisme à la clé, une pseudo religiosité du groupe en tant qu’idéal accompli.
Faire groupe par un dispositif d’analyse de pratiques
Ce qu’un dispositif d’analyse de pratiques fait circuler, c’est précisément ce qui s’est enkysté ou s’est figé entre les professionnels et professionnelles, et dans le faire groupe. Un groupe engage quatre fonctions fondamentales que nous détaillons :
- une fonction de contenance. C’est-à-dire de donner un cadre protecteur à des personnes, de cultiver une appartenance au sens de ce qui fait commun.
- une fonction culturelle. Par cette fonction, méconnue ou sous-estimée, nous entendons les productions d’une équipe dans une institution. Productions de pratiques, de savoirs, de repères, d’expériences qui nourrissent le travail, le densifient, lui donnent une épaisseur en assurant de la transmission.
- Une fonction opérante par le fait que le groupe se structure par des fonctions, des places et rôles tenus, des savoirs et compétences distinctifs (au sens de la pluridisciplinarité).
- Une fonction de catharsis. Il faut entendre ici la fonction de symbolisation de rituels de groupe socialement acceptés, chargée d’énergie psychique et corporelle (de la pause café qui fait moment de relâchement au repas ou à la sortie festive en équipe). Une fonction et son double agressif, voire paranoïaque quand les personnes identifient que leur groupe est attaqué, voire se trouvent elles-mêmes attaquées et transfèrent sur le groupe une réaction de défense.
Encore faut-il aménager un cadre d’émergence et de soutien à ces quatre fonctions. Dans le temps ordinaire du travail, comme dans celui d’un dispositif d’analyse de pratiques.
Dans ce temps spécifique de l’analyse des pratiques, il y a un espace pour mettre au travail les fonctions, ou celles d’entre elles qui font manque. Il y a aussi un espace pour prendre du recul sur l’expression comme l’usage de ces fonctions, et conscientiser les conflits qui s’y jouent. En introduisant de la conflictualité : pouvoir discuter, faire advenir des points de vue différents, négocier, accepter que l’idéal est sans cesse repoussé comme l’horizon par ce qui est possible, on agit sur les conflits dans ce qu’ils ont de passionnel et de formation de souffrances individuelles ou interpersonnelles.
Un article de Marc LASSEAUX – Psychanalyste et Intervenant en Analyse des Pratiques
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- Marc Lasseaux
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