Entre régulation d’équipe et Analyse des Pratiques
Psychothérapeute, psycho-praticien et directeur associé-fondateur d’AGANISIA, Christian GLAUDEL évoque dans l’interview l’expérience d’une analyse des pratiques doublée d’un processus de régulation d’équipe.
L’expérience que vous présentez a pour cadre une institution du domaine caritatif.
Quel est le point de départ de votre intervention ?
Christian GLAUDEL : En 2013, j’ai répondu à une première demande d’analyse des pratiques professionnelles (APP) qui était formulée comme une « relecture des pratiques », en mettant en avant la nécessité de travailler le lien avec le public accueilli. Il y avait obligation de participation et cela a pu être mis en travail, car toute l’équipe n’était pas partante pour travailler ainsi. Le processus a dû être interrompu au bout de six séances, de manière concertée entre les trois parties. Nous constations alors l’état de tensions, de jugements, et de représentations culturelles différentes entre participants, qui entravaient fortement le « dépliement » des pratiques et l’accès au vécu. Il faut dire qu’une nouvelle organisation de travail se préparait – non prévue au démarrage – et que cela a fait monter les désaccords dans l’équipe – je l’ai compris plus tard.
J’ai proposé que l’on reprenne avec un dispositif original qui tiendrait compte de cette réalité. Nous avons enclenché un processus qui alterne des temps de régulation d’équipe et des temps d’analyse des pratiques, dans des temps repérés et cadrés comme tels. La régulation avait lieu tous les trois mois, les deux rencontres intermédiaires relevant de l’analyse des pratiques. Dans le dispositif d’APP, y participent les volontaires qui s’engageaient en début de processus et qui avaient envie d’explorer ensemble leurs pratiques d’accompagnement. Le climat a tout de suite été serein, travailleur.
La régulation d’équipe, quant à elle, était obligatoire pour tout le monde, comme dans le premier dispositif mais nous étions là pour aborder les tensions, débats et représentations à l’œuvre dans la pratique mais aussi dans la vie de l’équipe. Je me suis senti plus à l’aise car la manifestation de tensions n’étaient plus une entrave à l’objectif de travail mais devenait l’objet de travail. Les volontaires de l’APP ont pu voir « la différence de climat », et le sentiment de pouvoir se concentrer sur la relation d’accompagnement.
Pour la régulation, bien sûr ce n’est pas tout à fait le même enthousiasme et certainement que la limite de ce dispositif est l’espacement entre deux séances de régulation d’équipe. Mais au moins, les professionnels peuvent petit à petit, s’écouter dans leur différents points de vues. Et je pense que le dispositif devrait encore évoluer…
Comment abordez-vous la question des tensions dans les équipes ?
Christian GLAUDEL : Je pose systématiquement cette question avant le début d’un dispositif, au commanditaire, mais aussi à l’équipe que je rencontre au préalable, autant que possible. L’analyse de la demande, son contexte, est important car c’est ce qui déterminer mon choix d’intervention – ou de non intervention, que je préfère éclaircir au départ. Dans l’exemple que j’ai pris, cette étape n’a pas été suffisante, et nous avons dû réinventer une forme d’intervention en cours de route.
Et puis il y a tension et tension… Il peut y avoir des tensions entre personnes chargées d’une histoire personnelle dont il sera bien difficile de faire la part des choses. Dans le cas d’équipes pluridisciplinaires, il y a de la tension entre les métiers, il y a comme des chevauchements dans les pratiques, mais ce sont des zones de frottements importantes et finalement normales, voire bienvenues car ce sont à ces marges que les métiers se définissent entre eux, et qu’apparaissent les paradoxes d’une prise en charge multidisciplinaire. C’est ce qui rend compliqué l’analyse des pratiques en équipe pluridisciplinaire, car il y a risque de navigation entre APP (généralement des dispositifs construits autour d’un métier) et régulation d’équipe (tensions entre métiers, qui passent parfois par des tensions interpersonnelles).
Et tout cela a des conséquences narcissiques sur les professionnels, c’est-à-dire que les relations conflictuelles liés aux métiers ont des effets d’affects individuels, ou vice-versa d’ailleurs. Pour résoudre ces difficultés, il est important de susciter de la parole, et en groupe. Là encore, nous voyons que nous pouvons vite quitter la forme de travail APP pour venir dans des formes d’accompagnements d’équipe, de régulation… et y rester ! Il me semble important que le contrat de départ reste un guide, ou qu’il soit redéfini en cours de route si nécessaire, comme dans cet exemple. Mais faire de l’analyse des pratiques dans une équipe constituée, c’est déjà se mettre au départ une contrainte forte de risque de « dérapage » vers d’autres formes d’accompagnement en équipe.
C’est pour vous une fatalité ?
Ce serait une fatalité de penser l’APP uniquement dans une équipe constituée, ce qui semble être une représentation très forte dans le travail social. Il y a des grosses associations ou institutions qui pourraient constituer ( ou qui constituent déjà) des groupes d’APP par groupe « métier », et non plus par groupe « équipe constituée ». Constituer des groupes avec des personnes issues d’équipes différentes, c’est permettre une centration sur la pratique métier et rien que sur cette pratique, et permettre aussi une ouverture plus importante sur des pratiques qui existent par ailleurs. Cela force un peu plus à « sortir de son village », comme permettre un « brassage culturel » de pratiques différentes, dans un métier unique.
Nous intervenons par exemple dans une institution, avec le métier de l’encadrement de proximité, et là la contrainte est inverse dans la constitution des groupes nous n’acceptons pas deux personnes d’un même service…
Et ceci n’empêche pas bien sûr d’autres pratiques d’accompagnement centrées sur les équipes, en cas de besoin. Mais trop souvent le terme APP englobe des formes pédagogiques d’accompagnements et des objectifs bien différents et à mon goût trop large…
Interview de par Christian GLAUDEL – christian.glaudel@aganisia.com par Marc LASSEAUX – contact@psyetco.fr
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