L’importance du rôle et de la fonction de la supervision
Schizophrénie et lien Mère-Enfant
Intervenir en tant que superviseur auprès d’une équipe de médiation familiale, demande à l’intervenant de bien cerner derrière la problématique consciente, le questionnement psychique de l’équipe, notamment quand cette dernière est fortement interrogée, lorsque les professionnels se retrouvent face à une mère schizophrène.
La problématique la plus souvent soulevée est principalement la notion du Lien, ce dernier prend dans la schizophrénie un tout autre sens que lorsque la mère ne présente pas cette pathologie. La grossesse et notamment l’accouchement vient réactiver une angoisse de dissociation. Chez certaines mères schizophrènes, l’accouchement peut être perçu comme une amputation d’un morceau de soi, d’un éclatement de la personne (1).
Lors d’une supervision, une assistante sociale, nous a exprimée son étonnement de voir à quel point il était important pour certaine mère de parler de leur accouchement.
Le plus important lors de l’énonciation de ce cas clinique, a été la façon dont le travailleur social, nous fait remonter l’affect dans lequel, elle était prise.
En effet, nous avons pu authentifier une similitude concernant l’angoisse de dissociation, telle que la bénéficiaire l’a relaté, amenant une réminiscence du propre vécu refoulé et archaïque de l’assistante sociale.
Le rôle de la supervision
Le superviseur est habitué dans le jeu du transfert à travailler avec les affects qu’éprouvent les professionnels lors de ses rencontres avec les usagés. Dans le cas particulier des travailleurs sociaux qui accompagnent cette mère schizophrène, nous devons prendre en considération une forme de décompensation psychique, du notamment, a une réactivation de l’angoisse de dissociation.
Nous appuyons, notre discours sur les travaux d’Otto Rank dans ses recherches sur le Traumatisme de la naissance. Avant de venir au monde, l’enfant est dans un état contenant-contenu, où il est autant contenant que contenu. A la naissance, l’enfant phantasme qu’il perd une partie de lui-même, il a perdu son contenant, qu’il ressent comme la disparition d’une certaine partie de lui. Cette désunion se désigne donc comme une angoisse de dissociation, toute sa vie il regrettera l’état fœtal et tentera de le retrouver.
La supervision, permet aux professionnels une forme de régression, qui vient parfois réactiver des émotions archaïques qui sont bien évidemment refoulées, chez le professionnel.
Les séances donnent la possibilité, de pouvoir supporter la perte psychique de contenant, cette perte étant réactivée par la rencontre avec les mères schizophrènes. Le superviseur et l’équipe jouant un rôle de contenant, il est donc possible de pouvoir maintenir cette régression, et de tenter de mettre du sens.
Nous pouvons penser que le travailleur social se retrouve dans une incapacité à pouvoir contenir ces mères, ce qui risque d’entrainer chez lui la perception que son propre contenant ne peut lui aussi, le « tenir » de façon suffisante. Au regard de l’importance de l’investissement demandé à l’équipe lors des accompagnements de la dyade mère-enfant, le professionnel est un véritable complément du moi déficient de la mère. Dans cette proximité transférentielle le travailleur social devient le lieu des projections maternelles, le réceptacle de l’agressivité, du sentiment de vide et d’impuissance de la mère, il est prit à son tour pour un contenant donnant l’impression au malades, de déposer son mal être.
De plus, la maternité a pu déclencher chez certaines femmes l’angoisse d’avoir une maladie, le fœtus ne peut être symbolisé, imagé, ce n’est donc pas lui qui fait grossir le ventre, sommes- nous dans l’ignorance, le dénie ou la forclusion ?
Quoiqu’il en soit cette impossible prise de conscience de l’enfant dans sa subjectivité, va venir amplifier le paradoxe, entre le sentiment de complétude que peut apporter le fait d’être enceinte, mais attendre un enfant, c’est évoquer une place vide. Ce qui va augmenter la projection (qui est comme nous le savons un moyen de défense) de la mère sur le professionnel.
Cette relation peut être qualifiée « à risque », dans le sens ou la mère ne peut pas investir son enfant. Et c’est également le risque dans lequel le professionnel se retrouve, renforcement la posture fantasmatique de contenance. Cette posture peut être renforcée par un sentiment fort chez le professionnel, qui perçoit une mère très défaillante, notamment face à des mères n’ayant pas « le rythme de leur enfant en tête »(2). Les enfants risquent ainsi, d’avoir des lâchages lors de moments de ruptures émotionnelles. C’est alors le professionnel qui doit « faire exister l’enfant »(3), il pense (que nous pouvons également interpréter comme « panse », que ce soit dans l’enveloppement du soin, ou bien nous référent à l’inconscient collectif des contes, où l’enfant se retrouve dans la panse intra-utérine de l’animal).
Le professionnel pense donc l’enfant, il interprète son vécu, lui prête des émotions, des affects et donne la plus délicate traduction à la mère (4). Parler au non du bébé, parler au bébé, si cela est bien entendu thérapeutique, le risque est d’amener une confusion identitaire chez le professionnel. C’est donc, ce désordre, ce danger de perte de contenant, que l’espace de la supervision tend à travailler.
Autrement dit, avant d’aborder la fonction de la supervision, qui nous le verrons touchera, à la place de tiers que peut prendre le professionnel, cette première partie nous a permit de voir le rôle contenant de la supervision.
Dans la même dynamique de failles de contenance, il est important de prendre en considération le fait que les professionnels, puissent également être contenus par le regard bienveillant de ses collègues. En effet, nous savons toute l’importance du regard de la mère sur l’enfant, pour lui permettre de se structurer d’un point de vue narcissique. A l’évitement du regard chez la mère répond parfois une hypovigilance visuelle de l’enfant, ou, au contraire, son évitement. On observe également que l’enfant s’accroche, voire s’agrippe au regard de l’étranger comme s’il cherchait désespérément à se réorganiser dans le regard de l’autre. (5)
Ainsi, le rôle contenant du professionnel est encore une fois mis à mal, dans cette difficulté de rupture, dans laquelle le travailleur social est convoqué par la mère schizophrène, à faire un distinguo entre Moi et Non-Moi, l’enfant devient ainsi le jeu d’une relation objectale de la part de sa mère. Le regard d’un de ses paires, peut aider le professionnel à se recentrer, à se restructurer autour du miroir que lui donne l’autre. Il s’agit là d’un processus de subjectivation, qui pourra donner la possibilité de sortir d’une forme de manipulation que peut présenter l’usager. En effet, nous savons que la mère schizophrène manipule son enfant, comme son objet, le privant de tout commencement d’individuation. Une relation permettant à l’enfant d’avoir sa juste place, serait perçu comme dangereuse pour la mère, c’est pour cette raison qu’elle met en place des ruptures fortes et déstructurantes dans le lien avec l’enfant.
Comme nous l’avons constaté, le professionnel est confronté lui aussi a une forme, parfois subtile, de déstructuration, qui se manifestent par des sentiments d’impuissance, venant marquer une forme de perte de contenant psychique.
Une difficulté supplémentaire qui lui incombe et qui encore une fois met à mal le positionnement du professionnel, est la discordance. En effet, il existe pour ces mères un obstacle à accorder leurs attitudes aux exigences de l’’enfant d’une part, mais aussi de ses propres émois d’autre part. Nous retrouvons là encore une forme de maternité très ambivalente, marquée pour une incapacité au détachement et aux grandes lacunes de maternage. Là, encore le travailleur social, peut être mis dans une posture confusionnelle, la supervision jouant un rôle alors prépondérant pour que le professionnel puisse, dans la spécificité de ce lieu, venir retrouver ses limites et sa contenance.
Nous allons aborder maintenant une autre activité de la supervision : la fonction.
La fonction de la supervision
Les premières séances, ou les premiers temps de la supervision, comme nous l’avons vu, s’inscrivent dans la dimension contenante du professionnel et le fait de venir déposer cette souffrance psychique permets aux travailleurs sociaux de pouvoir se « désengluer » d’une relation confusionnelle. Dans un second temps, l’espace de la supervision permet de poser la question de la place de tiers du professionnel, face à la relation mère-enfant.
Passer d’une dyade à une triangulation, amène, nous le savons la notion de Loi, de Limites, de cadre et comme nous l’avons souligné, il y a un risque de forclusion de Loi chez la mère schizophrène. Ce n’est donc qu’à partir de ce deuxième temps, que le professionnel aborde la fonction séparatrice de la médiation en elle-même. En effet, ce n’est qu’après avoir mise à jour, tous les axes transférentiels et la confusion, renforcer par une position schizophrénique, que nous pouvons aborder la position de l’équipe ainsi que les diverses interactions avec les partenaires voire les autres membres de la famille (père, frères et sœurs….).
Il nous a semblé important de bien souligner l’importance lors de séances de supervision, auprès de professionnels travaillant sur le lien « psychotique » mère-enfant, de bien distinguer le rôle de la fonction de la supervision. Nous devons être vigilants, et prendre du temps, pour permettre aux travailleurs sociaux de pouvoir exprimer pleinement leur souffrance psychique. Pour cela, nous devons dans les premiers temps les étayer, par des interventions leur permettant de se sentir soutenu.
Dominique SEJALON – Fréjus – 06 50 28 94 57
(1) Benoit BAYLE : « Ma mère est schizophrène » Ed ERES 2008 (2) M. Champion, O. Khalifat : « Les bébés de mères schizophrènes en unité mère_enfant » (3) M. Champion, O. Khalifat : « Les bébés de mères schizophrènes en unité mère_enfant » (4) M. Champion, O. Khalifat : « Les bébés de mères schizophrènes en unité mère_enfant » (5) A. Barroso, F. Poinso, N. Glangeaud-Freudenthal : « Ma mère est schizophrène » Ed ERES 2008