Le “Psy” et L’analyse des Pratiques
Parler « à tout le monde » par le biais de transmissions écrites c’est souvent parler « à personne » si cela n’est pas repris et élaboré en analyse de pratique. L’analyse de pratique se tient au-dehors du fourmillement institutionnel afin que chacun puisse penser son travail, l’élaborer, partager avec son équipe le ressenti de travailler ensemble dans le cadre d’un objectif commun. Parfois s’exprime le fait de ne pas être entendu.
A quoi ça sert un « psy » dans une analyse de pratique institutionnelle?
Plusieurs fois il m’a été rapporté que les groupes de parole en institution ne servaient à rien, que certains salariés n’en ressentaient pas le besoin…… ou encore que les expériences avec un « psy » n’avaient pas été assez « concluantes »….. L’intervention d’un « psy » est souvent amalgamée à l’intervention auprès d’une équipe en souffrance, et son action par conséquent se limite parfois à celle d’un pompier appelé pour éteindre le feu. Les « psy » provoquent aussi de vives réactions. Avec le temps, je me suis rendue compte que le « psy » renvoie surtout à des mécanismes de projection : chacun en a une attente très subjective, chacun en a sa propre définition.
Que n’est pas un « psy », ou plus précisément un analyste de pratique institutionnelle ?
Ce n’est pas un moraliste, un donneur de leçons, un confesseur, un redresseur de torts, un technicien qui viendra soulager un manque d’effectif. Et c’est pour cela souvent qu’il n’est pas appelé, car il coûte l’argent de salariés qui pourraient venir soulager l’équipe débordée, comme si la surcharge de travail légitimait le peu de besoin de parler, au bénéfice de l’action, du rendement. Le faire est souvent malheureusement privilégié au dire… Pourtant l’analyste de pratique propose une parenthèse, un moment d’oxygénation essentiel. Il propose un temps particulier, un temps en dehors du temps institutionnel durant lequel les gens courent parfois tels le lapin d’Alice au pays des merveilles. Ce lapin est toujours pressé, tellement pressé qu’il ne sait plus au bout du compte pourquoi et vers quoi il court. Les professionnels en perdent souvent le sens de leur travail, décrochent de l’ancrage que devrait constituer le projet institutionnel.
Comment se déroule une analyse de pratique dès son début ?
J’écoute dans un premier temps le besoin du cadre administratif, ses difficultés. Je propose ensuite les grandes lignes de mon intervention. Le cadre les synthétise sous la forme d’une « commande » ou d’une « mission » qui sera lue à l’équipe. Chaque professionnel est invité à parler en son nom. Il est stimulé à circonscrire, nommer, analyser les difficultés de sa pratique. Il est important de pointer les résonances que tout cela provoque, aussi bien d’un point de vue personnel que groupal. Le praticien a un rôle de régulateur, il tient le cap des séances, en borde les contours. Ses repères théoriques, ses propres analyses de pratique le conduisent à porter un regard extérieur, dénué d’émotion, détaché par rapport aux nombreuses interférences que porte une vie institutionnelle. La visée de son intervention n’est en aucun cas la critique, ni une aide au licenciement. Il n’effectue aucune investigation mais est là pour aider à pointer les difficultés, les lourdeurs de fonctionnement, voire d’éventuels dysfonctionnements. Il est là pour aider à transformer certains évènements traumatiques en « incidents formateurs » et aider une équipe à se repositionner. Il aide à réguler les relations entre les différents professionnels au sein de l’équipe. Il peut aussi effectuer une supervision centrée sur un patient. Il sera alors à l’écoute des effets de la relation patient/professionnel. Pour ce faire, il faut que l’équipe soit disponible à l’écoute, et ne soit pas parasitée par des conflits institutionnels ou interpersonnels.
Si parfois un compte rendu m’est demandé, je le signale à l’équipe, lui résume la séance et lui demande l’autorisation de noter ce qui a été dit. L’écrit est bien entendu lisible par tous ceux qui le souhaitent et a pour vocation d’éclaircir certaines situations conflictuelles et de nommer les difficultés. Il fait le lien parfois entre l’équipe et une Direction qui peut qui peut être perçue comme indifférente, voir comme un « Autre Méchant ».
Lors d’analyses de groupe, les relations prennent une dimension particulière. Si un supérieur hiérarchique est présent, il lui est demandé de ne pas intervenir afin qu’aucun enjeux de pouvoir ni de récrimination vienne interférer dans ce moment où chacun s’exprime sans sans être interrompu. Les règlements de compte ne sont pas acceptés. Chaque personne doit pouvoir consolider son assise identitaire au sein de son équipe, sur laquelle il doit pouvoir s’étayer.
En bref, de quoi l’analyste est-il garant ?
- D’une neutralité. Il aide à repérer et dénouer les conflits en faisant la distinction de ce qui appartient au groupe et de ce qui appartient à l’individuel. Il apaise les tensions afin d’impulser la motivation, le désir, le questionnement.
- D’un regard bienveillant. Il permet une réassurance, l’éclaircissement d’un horizon parfois opaque. Il permet de relancer la dynamique dans un quotidien parfois perçu comme routinier, peu constructif, voire aliénant.
- Du cadre. Un cadre précis, transparent, doit pouvoir permettre de donner l’image d’une institution fiable afin que chacun puisse ressortir avec un sentiment de sécurité intérieure suffisant.
Pour finir :
l’analyse de pratique se tient au-dehors du fourmillement institutionnel afin que chacun puisse penser son travail, l’élaborer, partager avec son équipe le ressenti de travailler ensemble dans le cadre d’un objectif commun. Parfois s’exprime le fait de ne pas être entendu. Or parler « à tout le monde » par le biais de transmissions écrites c’est souvent parler « à personne » si cela n’est pas repris et élaboré en analyse de pratique. Ne pas échanger ensemble les émotions, les difficultés, les décisions, peut obturer la bonne marche de la dynamique d’une équipe jusqu’à la mettre parfois en grande souffrance avec les répercussions que cela implique sur la population dont les professionnels s’occupent. L’analyse de pratique vient ainsi donner du sens et aider une équipe à maintenir son cap. L’essentiel étant de prendre du recul, de « sortir la tête du guidon » afin de prendre de la hauteur.
Un article de Laurence COSPEREC – 06 82 38 44 23