Petite enfance et législation autour de l’analyse des pratiques – Interview
Après l’interview d’Anne Chimchirian par Shirley LETURCQ mettant un focus sur les conséquences de l’arrêté de juillet 2022, voici l’interview retour.
Anne Chimchirian avait apporté des réponses techniques dans le précédent article : “Petite enfance : Des compétences d’animateur de séances d’analyse des pratiques professionnelles“, publié le 9 mai 2023
Aujourd’hui Shirley LETURCQ, avocate spécialisée en droit public, apporte des éléments juridiques sur la responsabilité et la latitude réelle laissée aux directions dans le domaine de la Petite enfance. Et c’est Anne CHIMCHIRIAN, psychologue spécialisée dans les APP qui lui pose les questions.
Les institutions concernées par la législation
AC : Quelles sont les structures concernées par l’obligation de faire intervenir des praticiens formés à l’analyse des pratiques professionnelles dans le secteur de la petite enfance ?
SL : Le décret du 30 août 2021 s’applique à tous les « établissements d’accueil du jeune enfant » au sens des articles R. 2324-1 et suivants du code de la santé publique : c’est l’appellation utilisée pour toutes les structures qui accueillent des enfants de moins de 6 ans (hors établissements scolaires).
Concrètement, il s’agit des crèches (collectives ou familiales), jardins d’enfants, services « multi-accueil », centres de vacances et de loisirs, établissements à gestion parentale, pouponnières à caractère sanitaire… autrement dit, toutes les structures accueillant, de manière collective, de très jeunes enfants.
Qualifications et légitimité
AC : Qui est chargé de vérifier que l’animateur des séances d’APP dispose bien des qualifications et de l’expérience exigées par l’arrêté ? Quelle est la légitimité des directeurs d’établissements en la matière ?
SL : Ce sont bien les directeurs d’établissements qui doivent vérifier que les personnels intervenant au sein de leur structure répondent aux conditions de qualification ou d’expérience professionnelle, de moralité et d’aptitude physique requises par la règlementation. Ils engagent leur responsabilité sur ce point.
L’article L.2324-2 du code de la santé publique prévoit un contrôle de la part du médecin responsable du service départemental de protection maternelle et infantile. En cas de méconnaissance des règles concernant l’organisation et le fonctionnement des établissements d’accueil des jeunes enfants, il peut en alerter le Préfet.
AC : La direction d’un établissement peut-elle considérer qu’un professionnel déjà qualifié et expérimenté en matière d’analyse des pratiques professionnelles répond aux conditions posées par les textes ?
SL : L’article 7 de l’arrêté du 29 juillet 2022 pose deux conditions à respecter pour animer des séances d’analyse des pratiques professionnelles dans le secteur de la petite enfance.
D’abord, il faut pouvoir justifier d’une expérience professionnelle de 5 ans minimum :
– soit dans le secteur de la petite enfance
– soit dans l’animation de séances d’APP
Ensuite, il faut être titulaire de l’une des qualifications prévues par le texte : il peut effectivement s’agir d’un diplôme spécifique inscrit au RNCP, mais aussi d’un diplôme de psychiatrie ou psychologie de niveau V (Bac +2), d’un M2 en Sciences de l’éducation, d’un Diplôme d’État d’éducateur de jeunes enfants ou de psychomotricien, ou encore d’un diplôme d’auxiliaire de puériculture.
Autrement dit, n’importe quel professionnel de la petite enfance disposant d’un tel diplôme peut être habilité à animer ces séances, même s’il n’a pas la moindre formation ou expérience en matière d’analyse des pratiques professionnelles…
À l’inverse, une personne déjà dotée d’une expérience significative en matière d’APP – y compris dans le secteur de la petite enfance – ne pourra continuer à exercer qu’à la condition de pouvoir justifier de l’un des titres ou diplômes prévus à l’article 7 de l’arrêté.
C’est toute la difficulté : le texte prévoit certes la possibilité de se prévaloir d’un autre diplôme, « attestant de compétences permettant d’exercer les fonctions d’animateur des séances d’analyse des pratiques professionnelles »… Mais il faut que celui-ci soit inscrit au RNCP.
Or, il n’en existe aucun à l’heure actuelle.
Applications et tolérance des autorités
AC : Quelle est la marge de manœuvre des directions aujourd’hui, compte tenu du fait qu’il existe peu, en pratique, d’intervenants ayant le profil adéquat ? Y a-t-il une tolérance particulière des autorités, puisque la législation est naissante ?
SL : Il faut d’abord préciser que les textes – le décret du 30 août 2021 et l’arrêté du 29 juillet 2022 – contiennent des dispositions transitoires, justement pour permettre la mise en application correcte des nouvelles prescriptions.
Concrètement, leur entrée en vigueur était prévue pour le 1er septembre 2022.
Néanmoins, une exception est prévue pour les intervenants APP déjà sous contrat à cette date : en principe, ils doivent pouvoir continuer à exercer jusqu’à la fin de leur mission.
De la même manière, tous les établissements gérés dans le cadre d’une délégation de service public ou d’un marché public disposent d’un délai supplémentaire de mise en conformité, afin de leur permettre d’attendre l’échéance de leur contrat – à condition qu’elle intervienne avant le 31 août 2026.
Dans les autres cas, la marge de manœuvre des directeurs d’établissements semble limitée.
En revanche, de manière pragmatique, il convient de relever qu’entre le respect du décret = la tenue de séances d’analyse des pratiques professionnelles et l’arrêté = les personnes habilitées à les animer, c’est le décret que je pense judicieux de privilégier car il est juridiquement « supérieur » dans la hiérarchie des normes.
Surtout, l’esprit de cette réforme est d’apporter du soutien aux équipes. Si ces dernières disposent déjà d’un accompagnement adapté, la lettre de l’arrêté ne doit pas l’emporter systématiquement sur l’esprit du texte.
Shirley LETURCQ, avocate – En savoir plus… & Anne CHIMCHIRIAN, formatrice et superviseur d’Animateurs APP – En savoir plus…
Crédit photo : FeeLoona
- Shirley LETURCQ - Anne CHIMCHIRIAN
- anne.chimchirian@gmail.com
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