Supervision : mythe et nécessité de l’illusion groupale.
Qu’est-ce qu’un groupe ?
A fortiori, qu’est-ce qu’un groupe en supervision ?
La plupart des demandes portent sur la régulation de tensions entre professionnels et institution d’appartenance et l’analyse de pratiques, sous le contrôle d’un psy. Ce choix indique que des enjeux sous-jacents ont à faire l’objet d’un travail à orientation psy. Le référencement d’un(e) psychologue, d’un(e) psychiatre ou d’un(e) psychanalyste pour une même demande pose la question du choix de ceux qui décident. On ne peut attendre le même travail selon que l’on l’adresse à la psychologie, à la médecine ou à la psychanalyse.
De mon expérience de la prise en charge de groupes, une expérience de vingt années, je vous propose de partager une réflexion sur le mythe et la nécessité d’une illusion groupale.
Qu’un groupe de professionnels soit mis en supervision, il se constitue autour de règles implicites, d’une tension entre le désir singulier de chacun de ses membres et de ce que les membres vont projeter sur ledit groupe comme finalité contenante. Le « groupe »est en quelque sorte un aménagement consenti par ses membres qui se réfère à l’histoire et au quotidien, et aux enjeux imaginaires de la supervision.
Le groupe constitué a une fonction transférentielle et totémique que nous proposons de présenter brièvement. Le transfert opère des sujets vers le groupe, en tout cas de ce que les sujets perçoivent comme « groupe », en lui attribuant une caractéristique identitaire et constituante, et une fonction de contenance. La caractéristique identitaire est fondée par ses membres du côté de la reconnaissance d’une histoire, d’un métier, d’une culture, de valeurs et de règles, d’un dire. Cette reconnaissance est le produit d’une symbolique et de fantasmes. La symbolique a rapport avec la production culturelle du groupe, c’est-à-dire de ce que ses membres peuvent dire du métier, des pratiques, des techniques, d’un langage qui a ses codes. Les fantasmes racontent un récit collectif qui voile des réalités individuelles. Le récit commun s’entend par de l’histoire racontée, des réactions et des affects à certains évènements ou traits de l’histoire commune.
La fonction totémique résulte du mythe groupal, c’est-à-dire de ce ses membres projettent comme imago « groupe »dans les affects qui circulent, et une dimension archaïque qui fait du « groupe »une protection contre ce qui lui vient « de l’extérieur ». La fonction archaïque peut être régressive, c’est-à-dire placer ses membres dans une dépendance au groupe qui inhibe la circulation de la parole, des dires individuels donc singuliers, d’un espace de jeu, et donc de la négociation entre les membres, de l’autonomie entre sujets. Quelque chose se constitue ou reconstitue de la matrice archaïque, d’un « intérieur »contenant, protecteur.
Une supervision exacerbe ces fonctions transférentielles et totémique. Le tiers externe ou lieu tiers sont corrélés à son accueil par les membres du groupe, àde possibles réactions paranoïdes si le groupe a un totem phallique combattif et répressif. Disons d’un père – la hiérarchie – tatillon, procédurier, méfiant, autoritaire. Dans ce cas, on parlera de transfert négatif sur le tiers, comme représentant les pulsions morbides d’un groupe constitué comme groupe défensif.
La fonction transférentielle habituelle du groupe a pour but d’augmenter la résistance inconsciente des sujets, par un discours et des positions qui réduisent le risque du sujet à se confronter à une réalité singulière. C’est ce qu’on nomme dans les théories du management, « la résistance au changement ». Il faut donc accepter cette résistance, travailler avec, ce qui veut dire en faire le matériau transférentiel. Ici, créer les conditions d’un transfert entre le tiers (l’intervenant) et les membres du groupe.
La supervision est une épreuve. Individuelle et collective. Individuelle, en ce qu’elle mobilise des affects, des positions, du récit, de la place du sujet dans le groupe, donc du pouvoir. Collective, du fait que l’épreuve groupale résulte à la fois de ce que l’intervenant – superviseur enclenche par ses questions, silences, scansions, par la dynamique qu’il suscite hors des rituels du groupe, ou dans ses rituels, mais sans avoir le statut de membre du groupe. Et de l’écart entre les rituels habituels et la dynamique des sujets qui vont modifier les équilibres ou déséquilibres rituels du groupe (analyse, positions, pouvoir).
On le voit : la supervision n’est pas qu’une affaire de contenu où se jouerait le rapport aux pratiques professionnelles. La supervision est affaire de relations, de projections, d’affects, de dires, de pouvoirs qui se déconstruisent et se reconstruisent selon des régulations inconscientes qui, dans le contexte, font du groupe un idéal, un exutoire jusqu’au déchet (tout y est systématiquement jeté, déversé, dévalorisé), une re-narcissisation pour des groupes qui auraient connu des traumas dans l’institution, ou des groupes dont la reconnaissance institutionnelle serait en manque.